Après Nicolas Sarkozy, l’année 2014 serait-elle celle des grands retours ? Dans une période où les élites politiques du moment apparaissent décrédibilisées par leur impuissance, on garde l’homme providentiel dans un coin de notre tête. Un mythe national éculé ? Pas pour tous. Dans son Eloge de l’Anormalité, Matthieu Pigasse appelle de ses vœux l’émergence d’un individu d’une telle trempe. « Un moment exceptionnel (comme le nôtre) requiert des hommes, des femmes, des actes, des comportements exceptionnels. Il faut retrouver l’ambition, du souffle, une vision, une forme de grandeur », expliquait le banquier d’affaires « de gauche » sur les ondes de France Inter le 20 mars dernier.
Qui serait cet homme ? Matthieu Pigasse ne cite personne. Mais comment s’empêcher de penser à son proche, Dominique Strauss-Kahn ? Officiellement, il a troqué son costume d’homme politique pour celui de conférencier international. « Circulez, il n’y a rien à voir ». Pourtant en 2014, la roue semble avoir tourné.
Du statut d’icône à celui du paria
Début 2011, Dominique Strauss-Kahn était la « rock star » de la vie politique française. Inaccessible – vivant à Washington – et traitant avec les « grands » de ce monde, il jouissait d’une aura inouïe auprès des élites et de l’opinion française. 78% des Français en avaient une bonne opinion en février 2011, un niveau exceptionnel. Seul Nicolas Hulot faisait mieux. A titre de comparaison, François Hollande disposait alors d’un socle de sympathie de seulement 55%. A l’Elysée, on s’agitait pour préparer la riposte face à ce challenger redoutable ? Une cellule informelle y était installée pour le veiller en vue de la présidentielle. Car les sondages avaient de quoi effrayer les sarkozystes les plus optimistes: selon l’Ifop, le second tour DSK-Sarkozy donnait alors du 61%-39%.
Le 14 mai 2011, les opposants à DSK ont eu de quoi calmer leur frayeur. L’affaire du Sofitel entraîne une chute record de la popularité du très probable candidat (-29 points de sympathie) qu’il était. Un effondrement spectaculaire. Mais pas total puisque Strauss-Kahn conserve, dans le contexte de l’assourdissant bruit médiatique d’alors, 44% de bonne opinion. Cela témoigne de la prise de distance de beaucoup de Français à l’égard de cette affaire. Cette affaire, unique en son genre, apparaît pour beaucoup cousue de fil blanc. 57% pensent alors que DSK est victime d’un complot. En outre, Strauss-Kahn conserve encore des soutiens dans la classe politique. Et ce jusqu’en automne 2011. L’affaire du Carlton de Lille met définitivement à nu la vie privée de Dominique Strauss-Kahn. Ses derniers amis politiques, écœurés par l’ampleur des révélations, le rejettent. Il est seul. Et bientôt abandonné par sa femme, Anne Sinclair. Décrédibilisé en France, il quitte la vie publique et oriente son expertise au service d’un parterre de VIP lors de conférences loin de l’Hexagone.
Et pendant ce temps…
Mais pendant la traversée du désert de Dominique Strauss-Kahn, la Terre continue de tourner. Et la France de s’enfoncer. La crise se révèle durable. Aucune perspective de croissance ne se dessine à l’horizon, le chômage croît et le poids de la dette apparaît insoluble. Le temps joue contre la France puisque, parallèlement, le pays s’affaiblit moralement. Les politiques, de tous bords, se décrédibilisent ; impuissants face à la crise, et éclaboussés par des scandales, de Cahuzac à Bygmalion. Le come-back de Nicolas Sarkozy est un succès mitigé. François Hollande a, quant à lui, perdu le soutien de l’opinion et notamment de son propre électorat (46% des socialistes ne l’approuvent pas). En toile de fond, le Front National s’étend de toute part. La crise se révèle institutionnelle : 69 % des Français estiment que leur démocratie ne fonctionne pas bien (plus de 21 points par rapport à 2009).
La société elle-même, profondément pessimiste depuis des années, paraît malade. Le lien entre les Français se délite peu à peu, comme le révèle une série d’indicateurs : la hausse des actes antisémites, la révolte fiscale, les manifestations régionalistes et la méfiance à l’égard de l’islam tendent à le prouver. Le signe le plus révélateur réside dans le nombre croissant de Français qui quittent le pays (en hausse de 2% chaque année). Parmi eux, de nombreux créateurs de richesses et des jeunes fourmillant d’idées. Ce contexte général ouvre grand le champ des possibles.
Le temps de la réhabilitation progressive
DSK, dans la plus grande discrétion, a emprunté le chemin du retour. Cela a pu échapper à beaucoup. Car le style est beaucoup plus subliminal que celui d’un Nicolas Sarkozy envoyant des « cartes postales » depuis deux ans. Suivons les petits cailloux disséminés tout au long de l’année 2014.
Mars. Un coup de tonnerre gronde dans le microcosme sondagier. Le Parisien Magazine commande un sondage à BVA sur les personnalités politiques les plus capables de redresser la France. L’impensable survient : DSK, qu’on pensait haï par l’opinion, surgit en tête des réponses. L’hebdomadaire renoncera à publier un sondage aussi polémique. D’autant que les interviewés n’ont pas été interrogés directement sur le souhait d’un retour.
Mai. France 2 diffuse le documentaire « Le roman de l’euro ». DSK y est interviewé. Il fustige les prises de décisions adoptées par Sarkozy et Merkel dans leur gestion de la crise de l’euro. A propos du sommet de Deauville de 2010, il analyse que « rarement on a eu un sommet qui donne des résultats aussi négatifs. ». Il estime par ailleurs que les conditions imposées à la Grèce ont été « insupportables ». Une manière de se désolidariser avec la politique menée.
Juin. Dominique Strauss-Kahn est réintégré au baromètre TNS Sofres mesurant la « cote d’avenir des politiques ». Et ce alors – rappelons-le – qu’il est complètement sorti de la vie politique.
Septembre. Un sondage Ifop nous confirme que DSK n’est pas rejeté par les Français. 30% souhaitent que Dominique Strauss-Kahn soit candidat : il se situe à la 2ème position des candidats de gauche après Manuel Valls (36%) et fait ainsi jeu égal avec Martine Aubry. Et seuls 13% souhaitent que François Hollande soit candidat. Si rejet il y a, ce n’est plus DSK mais Hollande qui en est l’objet.
Un regard nouveau porté sur lui
Les « élites » semblent également porter un nouveau regard sur lui. Elles le réintègrent dans le microcosme. Ariane Chemin, dans Le Monde, rapporte que DSK a assisté le 12 octobre à l’anniversaire d’Anne Hommel, spécialiste en communication de crise. Tout ce que compte le Paris politico-médiatique y est présent. Dont de nombreux socialistes et notamment Manuel Valls. Et contrairement à 2011, le Premier ministre n’a pas tourné les talons lorsqu’il s’est aperçu que DSK était de la partie.
Le temps n’est pas à se demander si DSK sera dans la course pour 2017. Des échéances judiciaires l’attendent en février pour l’affaire du Carlton. Et lui-même, en ressent-il l’envie ? Mais force est de constater qu’il n’est plus un paria au sein de son camp. Et en ces temps de doute dans l’action publique, l’opinion n’a pas oublié les compétences de l’économiste qu’il est.
Son retour dans le jeu politique ferait évidemment polémique. Mais une polémique surmontable dans un pays qui semble nourrir une passion pour les retours inattendus.