Ministre de la Culture, Fleur Pellerin est incapable de citer le titre d’un seul livre de Patrick Modiano. Pire, elle avoue « sans aucun problème » ne pas lire « depuis deux ans ».
L’information a déjà fait le tour du web : Fleur Pellerin est incapable de citer, à brûle-pourpoint, le titre d’un livre de Patrick Modiano. Dimanche, elle était invitée à Canal+, sur le plateau du “Supplément”, quand Maïtena Biraben lui demanda quel livre du nouveau prix Nobel de littérature elle préférait. Silence radio. La ministre de la Culture s’empressa d’expliquer : « J’avoue sans aucun problème que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans. Je lis beaucoup de notes, beaucoup de textes de loi, les nouvelles, les dépêches AFP mais je lis très peu. »
L’amateurisme de Fleur Pellerin
Que Fleur Pellerin ne parvienne pas à citer un seul livre de Modiano, passe encore. On peut mettre ça sur le dos de l’amateurisme : elle est ministre de la Culture, un écrivain français vient de décrocher le prix Nobel et c’est les mains dans les poches qu’elle se rend à une émission politique.
On peut aussi mettre ça sur le compte d’une mémoire défaillante : deux jours avant son passage télévisé, la ministre de la Culture déjeunait, en effet, avec Patrick Modiano et l’éditeur Antoine Gallimard. C’était le vendredi 24 octobre, à Paris, rue de Valois ; il était 13 heures. L’un des collaborateurs de Fleur Pellerin lui avait certainement préparé une note comme il faut : biographie de l’écrivain nobélisé, liste de quelques-uns de ses livres marquants, le tout fraîchement recopié à grands frais sur Wikipedia. En deux journées à peine, Fleur Pellerin avait tout oublié : cela suffirait au premier spécialiste venu pour lui diagnostiquer un Alzheimer précoce.
On me permettra de ne pas jouer aux réacs. Même si, les ministres de la Culture, c’était quand même mieux avant. On a du mal à s’imaginer Malraux incapable de répondre à pareille question – même complètement défoncé. Maïtena Biraben aurait eu en face d’elle un Michel Guy ou un Jack Lang, ils lui auraient non seulement administré un cours sur Modiano, mais ils auraient en plus semé le doute dans l’esprit de la journaliste : le nouveau prix Nobel doit-il vraiment tout – sa vie, son œuvre – au ministre ? C’est qu’il y a des ministres qui travaillent et maîtrisent leur sujet. Et il y a les autres.
Fleur Pellerin, le philistinisme sans complexe
Le problème pourtant n’est pas là. Ce qui est véritablement choquant, ce sont les propos de la ministre qui justifie par le manque de temps le peu de cas qu’elle fait de la lecture : « J’avoue sans aucun problème que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans. » Le « sans aucun problème »ministériel est terrible.
Ne pas lire quand on est responsable public – a fortiori ministre de la Culture – est une faute grave. Avouer sans vergogne qu’on ne lit pas est la marque la plus odieuse du philistinisme, c’est-à-dire de cet esprit épicier qui juge tout à l’aune de l’immédiate utilité. Fleur Pellerin en rajoute :« Je lis beaucoup de notes, beaucoup de textes de loi, les nouvelles, les dépêches AFP mais je lis très peu. » Elle met tout sur le même plan : la lecture du journal vaut celle d’un roman. Lire le numéro de Closer de la semaine et lire Madame Bovary, c’est kif-kif bourricot, puisque les deux activités consistent à déchiffrer des caractères imprimés et, surtout, elles coûtent en temps. Le philistin n’a jamais qu’un seul critère : la dépense. Bloy a écrit de sublimes pages là-dessus dans Exégèse des Lieux Communs (Mercure de France, 1902).
Pour Mme Pellerin, la lecture est une activité coûteuse en temps. C’est tout. Et on peut même proclamer à la face du monde qu’on n’a pas le temps de lire, qu’on est trop occupé pour s’adonner à ce hobby prenant. Et le faire « sans aucun problème ». Pour Fleur Pellerin, la fréquentation des œuvres littéraires ne transforme pas l’homme, elle ne le métamorphose pas. Elle ne lui confère pas non plus « un cœur intelligent« , pour reprendre le titre d’un beau livre d’Alain Finkielkraut. Pourtant, cette métamorphose du cœur et de l’esprit humain par les livres, on appelle ça d’un nom que madame la ministre devrait connaître : la culture.
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