Le chef Joël Robuchon résume parfaitement la place du beurre dans notre vie quotidienne et dans la cuisine française : « Si le beurre n’était pas là, son absence serait cruelle ». Et il a raison même si, dans ces jours étranges de suspicion maladive, le beurre n’a plus l’aura qu’il a connue à travers les siècles. Triste époque.
Pourtant sans lui, comment bien saisir les aliments, rendre moelleux les légumes les plus rustres, faire dorer, transformer une sauce en émulsion, et que serait notre pâtisserie sans le beurre. Depuis notre enfance, la tartine beurrée du matin illumine notre journée avec sa fraîcheur, son odeur douce de lait crémeux, son goût de noisette, de foin, d’herbe, la présence du sel subtile mais savoureuse grâce à la tradition bretonne. Variété, richesse, douceur de la texture, rien vraiment ne remplacera le beurre.
Un peu d’histoire… (quand même)
Premières traces « officielles », un bas-relief sumérien qui montre la traite d’une vache. Si le lait est là, le beurre n’est pas loin. Le beurre devait être fabriqué dans une grande jarre que l’on faisait osciller jusqu’à obtenir la consistance voulue. À travers les âges et les civilisations, le beurre fut présent, disparut, puis réapparut. On en trouve en Inde, en Egypte, mais les Grecs et les Romains le tiennent en grand mépris le laissant aux « peuplades primitives ».De fait, il disparut longtemps de nos contrées, pour réapparaitre avec l’arrivée des Vikings qui furent sans doute à l’origine du beurre normand. Il restera fort prisé dans les régions bretonnes et normandes qui obtiennent l’autorisation d’en consommer même durant le carême. La fameuse « tour de Beurre » de la cathédrale de Rouen est un remerciement à cette autorisation de l’église.
Il entre dans la cuisine à la fin du Moyen-Âge, et dans les sauces à la fin du XVIIème siècle. L’arrivée du beurrier sur les tables un siècle plus tard officialise notre beurre quotidien, mais pas pour tout le monde.
Le beurre est rare, mal produit et fabriqué par une paysannerie qui n’y voit pas son intérêt. Il est cher et donc réservé aux « riches » d’où les expressions populaires qui l’accompagnent. Il faudra attendre la Révolution de 1789, la petite propriété et l’augmentation des troupeaux pour que la France du blé devienne aussi la France du lait. La qualité s’améliore, les urbains sont friands de ce produit « campagnard » et Paris se régale du beurre d’un petit village voisin : Vanves. Des régions émergent par leur fabrication typée : Isigny en Normandie, les Charentes, et le beurre salé breton. C’est au XXème siècle que le beurre pénètre toutes les classes sociales et devient définitivement une denrée quotidienne mais sans se banaliser car une noix de beurre sur le plat le plus rustre le transforme aussitôt en met savoureux.
Expressions beurrées
« On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre », « faire son beurre », « mettre du beurre sur les épinards » attesté chez Zola dans l’Assommoir, « prendre l’assiette au beurre », « promettre plus de beurre que de pain », « ça compte pour du beurre », toutes liées à la valeur du produit. « Rentrer dedans comme dans du beurre », « c’est un vrai beurre », pour qualifier quelqu’un de gentil, « avoir les mains en beurre », pour celui qui laisse tomber les objets, « être beurré », à l’origine « prendre une beurrée », qui ne l’a pas été…
Dénomination
Après l’écrémage, la pasteurisation, la maturation, le barattage et le malaxage, le beurre porte des noms et des dénominations reconnues par l’Union Européenne.Beurre cru : issu de crème non pasteurisée, sans traitement après la traite sauf réfrigération du lait à 4° pour conservation.
Beurre extra-fin : issu d’une crème pasteurisée dont le traitement débute au plus tard 72 heures après la collecte du lait et 40 heures après l’écrémage (séparation de la crème et du lait).
Beurre fin : à partir de lait ou de crème pasteurisé. Ne doit pas contenir plus de 30% de crème congelée ou surgelée.
Beurre allégé : contient entre 41% et 65% de matières grasses.
Beurre demi-sel : contient de 0,5 % à 3% de sel.
Beurre salé : contient plus de 3% de sel.
Test Gourmets&Co
Nous avons testé à l’aveugle exclusivement des beurres demi-sel en vente chez les fromagers et dans les épiceries fines, à l’exception d’un « intrus » en vente dans les grandes surfaces. Les beurres présentés étaient « reformés » à l’identique pour éviter une reconnaissance sur la forme, et servis à même température.Différentes sortes de pains étaient mises à disposition, proposés par Le Moulin des Moissons, de la ferme de Moisan, à Grosrouvre (78490) et en vente à Paris dans leur boulangerie au 18 rue de la Terrasse (75017).
Le test s’est déroulé au restaurant Etc… de Christian Le Squer avec la complicité active du chef Bernard Pinaud.
Les notes finales sont sur 60.
Etc…
2, rue La Pérouse
75016 Paris
Tél : 01 49 52 10 10
M° : Kléber
Notre invité
Christian Le Squer
Le chef triplement étoilé était à la fois notre invité et notre hôte dans son restaurant Etc… Breton d’origine, le beurre salé est sa nourriture ombilicale depuis sa plus tendre enfance. Il l’aime crémeux, assez doux avec un bon équilibre en sel et si possible non croquant. Comme à son habitude, il fut précis, concentré, mais aussi disert et d’humeur enjouée.
Malgré une actualité pour le moins chargée où il venait d’annoncer son arrivée dans les prestigieuses cuisines du restaurant Le Cinq, du Four Seasons Hotel George V, il a tenu à honorer ce rendez-vous matinal de dégustation. Autant dire que nous l’en remercions profondément.
Ont participé :
Rémy Dechambre, journaliste gastronomique.
Corinne Vilder, journaliste art de vivre, responsable éditorial du web magazine Gourmets&Co.
Patrick Faus, journaliste art de vivre et gastronomie, rédacteur en chef du web magazine Gourmets&Co, rédacteur en chef du magazine « Winner ».
Roland Zemmour, journaliste gastronomique au magazine Télérama
Christian Le Squer : chef (*** Michelin) du restaurant Le Cinq au Four Seasons Hotel George V
Jules Winocour, d’Emile & Jules, boulangers à Paris (75017)
Résultats
1 – Le Beurre Bordier - 50/60
Beurre de baratte demi-sel
beurre doux, sel (2,8%)
125g – 2,95 €
Unanimité générale et classé premier par la majorité des testeurs. Jean-Yves Bordier a mis au point une fabrication personnelle d’une durée de trois jours alors que les industriels mettent six heures. Un barattage mécanique et une extension du temps de malaxage qui donne de la texture et de la complexité au produit fini. Résultat : qualité du beurre, puissance du goût, texture, et parfait équilibre du sel fin que Bordier rajoute à la volée. Un beurre comme on ne l’espérait plus…
2 – Au Bon Beurre – 45/60
Beurre demi-sel
Beurre, sel ajouté (3% max.)
250g – 3,25 €
Un des favoris de Christian Le Squer. Bien crémeux, bon goût de lait, et parfait équilibre du sel. La découverte du test.
3 – La Baratte du Crémier – 41/60
Sèvre & Belle
Beurre cru de baratte
Demi-sel croquant de l’île de Ré
Maturation lente des crèmes, sel ajouté (2%)
250g – 4,40 €
Un beurre de fromager (Dubois, Quatrehomme, Barthélémy, etc.) de grande qualité. Texture et saveur idéales. Bien parfumé mais un peu discret sur le sel.
4 – Beillevaire – 40/60
Demi-sel croquant à la fleur de sel de Noirmoutier
crème crue, ferments lactiques, fleur de sel (2,5%)
125g – 1,90 €
Un classique du beurre de qualité. Le grand concurrent de Bordier reste parmi les meilleurs avec un beurre assez ferme, au bon goût de crème (crue), et au sel bien croquant sous la dent ce qui ne fait pas l’unanimité.
5 – Isigny Sainte-Mère – 38/60
Beurre d’Isigny AOP
Beurre de baratte demi-sel gros grains
Crème, ferments lactiques, sel (2%)
250g – 4,30 €
Le célèbre Isigny, avec son AOP, demeure une valeur sûre malgré des grains de sel un peu trop présents et une texture un peu ferme.
6 – Le Montsûrais bio – 33/60
Beurre à la baratte au gros sel de Guérande
Crème fraiche pasteurisée, ferments lactiques, gros sel de Guérande (4% max.)
Un beurre peu connu, assez doux, joli nez crémeux, mais peu de sel par rapport au pourcentage annoncé qui reste obscur.
7 – Échiré – 30/60
AOP
Beurre de baratte demi-sel
Crème de lait de vache, ferments lactiques, sel (2% max.)
100g – 1,70 €
La célèbre marque déçoit avec une fadeur coupable, une texture un peu ferme, et très peu de saveur salée.
8 – Paysan Breton – 26/60
Beurre moulé demi-sel
Elaboré par l’industrie laitière coopérative
Sel : 2%
Médaille d’Or 2013 ( ?)
250g – 1,74 €
Le seul à ne pas atteindre la moyenne. L’intrus n’a pas réussi à tromper les testeurs. Pas de nez, une texture un peu grasse pas agréable, mais pas de sel à l’horizon et une neutralité de goût étonnante.