d'après SAUVÉE de Maupassant
Sur le canapé, La baronne des É. avait jeté
Le livre qu’elle lisait
Et regardait avec curiosité
Son amie Elvire
Qui venait d’entrer
En éclatant de rire.
Elle lui demanda :
-« Mais qu’est-ce que tu as ? »
-« Oh ! Ma chère…figure-toi…Je suis sauvée !...
-« Sauvée de quoi ! »..-« De mon mari, délivrée !
Je tiens le divorce ! »
-« Tu Divorces ? »
-« Non, pas encore ! Mais j’ai des preuves…
D’incontestables preuves…
Il me trompe !…un flagrant délit !
Songe…Je le tiens, mon mari ! »
-« Comment as-tu fait ? »
-« Comment j’ai fait ?
Depuis trois mois, il était devenu odieux
Grossier, brutal, monstrueux.
Je me suis dit : Ça ne peut pas durer ;
Il me faut divorcer.
Mais ça n’a pas été aisé.
Je lui ai demandé de me frapper.
Il a refusé.
Il me contrariait tout le temps,
Me forçait à sortir quand je ne voulais pas
Ou me contraignait à rester chez moi
Quand je désirais diner au restaurant.
Insupportable, n’est-ce pas ?
Tu es d’accord, dis-moi ?
Puis j’ai découvert qu’il me trompait.
Alors, devine ce que j’ai fait ?
J’ai prié mon frère Andrés
De me procurer une photographie
De sa maîtresse. »
-« De la maîtresse de ton mari ? »
-« Oui. J’avais besoin de savoir tout
Sur sa taille, sa poitrine, son teint, ses goûts… »
-« Je ne comprends pas. »
-« Quand j’ai connu tout cela,
Je me suis rendue chez …un agent…
De complicité…,
Un enquêteur privé,
Un de ces hommes…enfin tu comprends. »
-« Oui, à peu près. Et que lui as-tu dit ? »
-« Je lui ai montré la photo de Julie,
Sa maitresse s’appelle Julie.
Et je lui ai dit :
’’ Il me faut une femme de chambre qui
Ressemble à ce portrait-ci
Et qu’elle soit propre, honnête et jolie
D’avance, j’accepte votre prix.
Comprenez mon astucieuse ficelle :
Mon mari me trompe à l’hôtel.
Je veux qu’il me trompe chez moi…
Et le surprendre ici, cette fois. ’’
’’ Cette photographie
Représente la maîtresse de votre mari ? ’’
’’ Oui.’’ -’’ Belle personne ! Et quel parfum ? ’’
-’’ Comment, quel parfum ? ’’
-’’ Le parfum est essentiel pour la séduction.
Il prédispose à l’action.
Il me faudrait savoir aussi
Ce que monsieur votre mari
Mange quand il dine avec sa…
Vous devrez lui servir les mêmes plats
Le jour où vous voulez le pincer.
Oh ! Madame, nous le tenons,
Nous le tenons ! ’’
Je m’en allai enchantée.
J’étais tombée vraiment
Sur un homme intelligent.
Six jours plus tard,
Se présentait chez moi vers six heures du soir
Une grande fille, l’air hardi,
Roué, brune et très jolie.
Je lui dis : -’’ Bonsoir, mademoiselle ’’
’’ Oh ! Madame peut m’appeler Adèle.’’
’’ Vous savez pourquoi vous êtes ici ? ’’
’’ Je m’en doute, madame, oui.’’
’’ Fort bien…et cela…
Ne vous ennuie pas ? ’’
’’ C’est le huitième divorce que je fais,
Je suis habituée.’’
’’ Pour réussir, vous faut-il longtemps ? ’’
’’ Cela dépend du tempérament de Monsieur.
Dès que j’aurai vu un moment Monsieur,
Je pourrai vous répondre exactement.’’
-‘’ Vous le verrez tantôt,
Mais je vous préviens :
Il n’est pas beau. ’’
’’ Cela ne fait rien.
J’en ai déjà eu de très laids.
Quel est le parfum de la dame, s’il vous plait ? ’’
’’ Le jasmin.’’
-’’ Tant mieux, madame, je l’aime bien !
Et porte-t-elle
Du linge de soie ? ’’
’’ Non. De la batiste avec des dentelles.’’
’’ Alors, c’est une personne comme il faut.
Le linge de soie
Fait commun, plutôt. ’’
Une heure plus tard, rentrait mon mari.
Adèle, accorte,
Alla lui ouvrir la porte
Sans lever les yeux sur lui.
Mais mon mari leva les yeux sur elle, lui !
Quand elle le fit
Entrer dans mon cabinet,
Elle sentait déjà le jasmin à plein nez.
Mon mari me demanda :
-« Qu’est-ce que c’est que cette fille-là ? »
-« Mais…ma nouvelle femme de chambre. »
-« Où l’avez-vous trouvée ? »
-« C’est une amie qui me l’a recommandée.
Elle a les meilleurs certificats. »
-« Ah ! Elle est assez jolie ! »
-« Vous trouvez, mon ami ? »
-« Mais oui, …pour une femme de chambre. »
J’étais ravie. Je sentais qu’il mordait déjà.
Le soir même, Adèle me confiait :
-« Je promets à Madame que cela ira vite
Car j’ai remarqué sa conduite. »
-« Vous avez déjà essayé ? »
-« Non, mais il a déjà voulu m’embrasser.
Que Madame se rassure, je ne résisterai
Que le temps nécessaire
À notre affaire. »
Bientôt, mon mari ne sortait plus jamais.
Je le voyais rôder
Dans la maison toute la journée.
…Et lui ne m’empêchait plus de sortir.
…Moi, je m’absentais
…Pour…pour le laisser libre.
Le neuvième jour, après souper,
Comme Adèle me déshabillait,
Elle me dit avec son air malin :
-« C’est fait, Madame, de ce matin. »
-« Et…et …ça c’est bien passé ?... »
-« Très bien. Depuis trois jours, il me pressait
Mais j’ai préféré aller modérément.
Madame me préviendra du moment
Où elle désire le prendre en flagrant délit. »
-« Bon. Tenez, …prenons jeudi ! »
-« Si Madame veut bien,
D’ici là, je ne lui accorderai, plus rien.
Je le tiendrai en éveil et l’allumerai
De façon à le faire donner juste à l’heure
Que Madame voudra bien me préciser. »
-« Prenons cinq heures. »
-« Ça va. Et à quel endroit ? »
-« Mais,… dans ma chambre. » -« Soit. »
Alors, ma chérie,
Jeudi après-midi,
J’ai été cherché papa, maman,
Et mon oncle de Saint-Aignan
J’ai convoqué le juge M. Rapelli,
Le concierge et un ami de mon mari,
Sans les prévenir
De ce qu’ils allaient découvrir.
Et puis, pile à cinq heures,
Pan !
J’ouvris la porte en grand…
Oh ! Comme il battait, mon cœur !
Ah ! Ah ! Ah ! Ça y était en plein,
Ma chère,…mais en plein !
Oh ! Si tu avais vu sa tête !...
Quelle tête !...
Ah ! Qu’il était drôle…J’ai ri…
Et papa qui voulait battre mon mari !...
Et le concierge qui l’aidait
À se rhabiller.
Adèle fut parfaite,
Absolument parfaite…
Je te la recommanderais
Si, un jour, par hasard, tu avais
Le même
Problème. »
La baronne, toute émoustillée, demanda :
-« Pourquoi ne m’as-tu pas invitée à voir ça ? »