Il était une fois, un monde où la notion de choix n’avait pas de sens. Elle ne représentait rien. Rien de concret ni d’abstrait.
A aucun moment de leur vie fade et monotone, les habitants de ce monde n’avaient de choix à faire. Leur parcours était prédéterminé dès leur naissance. Dans ce monde, il existait trois types d’êtres humains : les individus mâles, les individus femelles, et les apprenants.
Les apprenants étaient des individus mâles et femelles en devenir, qui attendaient la puberté pour être catégorisés. Durant les quelques années précédant leur arrivée à maturation (stade marqué par l’apparition des premières règles chez les individus femelles et par la mue de la voix chez les individus mâles) leur éducation différait déjà en fonction de leur sexe.
Dans cette société, il n’y avait pas de place pour l’improvisation, le futile, l’ornement.
Une liste de professions nécessaires et suffisantes au bon fonctionnement de ce monde avait été dressée. Chaque profession s’était vue adresser un genre. Ainsi, on trouvait deux types de professions : celles réservées aux individus mâles qui nécessitaient une certaine force physique, ou un accès relatif à la connaissance et celles réservées aux individus femelles qui consistaient pour la plupart en la tenue et l’entretien d’une maisonnée, la garde de jeunes apprenants, l’élevage de sa portée ou pour de rares privilégiées, en la vente de denrées communes telles que le pain.
Les individus femelles étaient encouragés à rester cloitrés chez eux dans la mesure du possible. Elles n’étaient autorisées à s’absenter que durant la journée, lorsque les individus mâles étaient trop occupés à travailler pour les remarquer. Ces sorties n’étaient jamais, ou plutôt ne devaient jamais être effectuées dans le seul but d’accéder à une forme d’épanouissement personnel. Elles intervenaient peu fréquemment, lorsque le besoin se faisait sentir d’effectuer quelques achats pour nourrir l’ensemble du ménage.
Les contacts entre les individus mâles et femelles étaient extrêmement limités.
L’individu femelle effrayait en raison de l’effet que pouvait avoir la vue de son corps sur l’individu mâle.
Le cloisonnement des individus évitait des débordements superflus et tout le monde en était satisfait.
Les individus femelles avaient bien conscience qu’ils portaient en eux le mal, et faisaient tout leur possible pour se dissimuler du regard des individus mâles.
Leur peau devenait presque transparente à force de rester reclus, de dissimuler leurs courbes sous les vêtements. Ils devenaient des êtres faibles à force d’inactivité, à force de s’entendre dire qu’ils l’étaient. Les individus femelles, outre leurs quelques activités annexes, avaient un grand dessein à accomplir au cours de leur existence. Il s’agissait d’enfanter, autant de fois que possible, autant d’apprenants que possible. Il était bien plus apprécié d’enfanter des apprenants mâles. Eux seuls avaient de la valeur. Certaines éprouvaient des difficultés à concevoir la vie, ou peut-être était-ce en réalité leur partenaire qui en avait. Personne ne cherchait à savoir, à comprendre, à compatir.
L’individu femelle était alors rapidement répudié. Personne ne voudrait plus d’elle. Les individus mâles ne s’encombraient pas de ce type de fardeau incapable d’accomplir son devoir.
Alors, ces femelles se retrouvaient rapidement seules, sans toit, sans argent, à errer dans les rues, rasant les murs pour se dérober du regard des autres. Quand elles croisaient le chemin d’un individu mâle elles recevaient parfois quelques injures lancées comme on jette une grenade dégoupillée, certaines fois c’étaient des pierres.
Dans ce monde où tout contact entre les deux sexes était prohibé, l’union de deux individus était rendue possible par la publication deux fois par an d’un catalogue présentant les jeunes individus femelles à marier.
Ces derniers y étaient inscrits dès qu’ils quittaient le statut d’apprenant.
Sur ce catalogue étaient fournies les informations nécessaires aux individus mâles pour choisir celle qui porterait leurs petits apprenants.
On y trouvait la date de naissance, la ville de résidence et les qualités de chacune.
Etre inscrit sur ce catalogue était un facteur de stress important. En effet, si suite à la quatrième publication de son nom une prétendante n’avait pas convolé en noces, il était alors trop tard pour elle d’épouser l’espoir de fonder une famille. Elle était alors rejetée par ses parents comme on chasse une souris qui menace de s’attaquer au garde-manger.
Elisya fut inscrite sur le catalogue à l’âge de 14 ans. Elle n’en avait pas 15 lorsqu’un individu mâle de 50 ans se présenta à ses parents pour l’acheter. Ses 5 autres épouses se faisaient trop vieilles pour enfanter.
Elisya ne voulait pas de lui, elle ne voulait pas se marier.
Elle eut l’audace de le dire à ses parents. Son initiative n’eut pas l’effet escompté.
Elle fut giflée si violemment que l’arrière de son crâne heurta le sol lorsqu’elle s’effondra.
Cette nuit-là, elle partagea son temps entre ses sanglots et sa haine envers ses géniteurs, envers ce monde si injuste où elle n’avait pas sa place.
Le lendemain, sa décision était prise, elle allait fuir, fuir ce monde, ce mariage, même si cela impliquait de vivre dans la rue, de subir les agressions perpétuelles des passants. Elle s’en moquait, elle allait partir.
Elle referma la porte derrière elle, il faisait chaud malgré l’heure matinale. Des vagues de bonheur s’abattirent sur elle. Elle tremblait.
Pour la première fois elle se sentait libre, libre de ses mouvements, libre de penser, libre de décider de sa vie. Elle tremblait encore.
Elle avançait d’un pas hésitant dans cette ville, ces rues qu’elle connaissait si peu.
Alors qu’elle commençait tout juste à s’accoutumer à cette toute nouvelle liberté, elle entendit au loin des sirènes qui rapidement se rapprochèrent. Ils l’avaient retrouvée.
Elle fut mariée le jour même.
Cette nuit-là, son mari lui arracha sa vertu.
Elisya s’était comme détachée de son propre corps. Elle voyait son mari, cet individu dégoutant se frayer un passage dans son intimité. Elle observa le sang qui s’écoulait d’elle, ses bras douloureux emplis de griffures.
Des touffes de cheveux jonchaient les draps.
Elisya n’était plus que douleur. Pourtant, sa plus grande souffrance n’avait rien à voir avec les bleus qui bientôt viendraient tacheter son corps.
Son mari dormait à ses côtés, il paraissait satisfait. Quand elle eut la certitude qu’il ne risquait pas de se réveiller, Elisya se leva et, pour la deuxième fois de la journée, elle quitta une maison en silence.
Elle erra des jours durant dans des rues inhospitalières puis, une rencontre en amenant une autre, elle fit la connaissance de jeunes femmes qui, comme elle, avaient fui, comme elle, s’étaient révoltées.
Elles se retrouvaient souvent le soir et échafaudaient des plans pour mettre fin à ce diktat des individus mâles.
L’histoire ne nous dit pas si elles accomplirent leur dessein. Une chose est sûre, il est un monde que nous connaissons bien, où pour certaines femmes la vie n’est pas si différente de celle que je viens de décrire.
Espérons que dans mon monde imaginaire, leur sort se soit arrangé. Espérons que dans le nôtre, ce ne soit qu’une question de temps.
Fantômette
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Cet article a été rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture des jolies plumes animé par Fabienne et Célie.
Chaque moi, un nouveau sujet est proposé aux blogueurs intéressés. Ce mois-ci le thème était celui du conte, avec comme seule consigne de débuter notre texte par « il était une fois ».
Si toi aussi tu souhaites nous rejoindre au sein de cet atelier tu peux contacter Fabienne et Célie par mail : [email protected].
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