Nombre de fins amateurs de Pierre Desproges ignoraient que celui-ci avait tenu une chronique culinaires, entre 1984 et 1985, dans la très sérieuse revue Cuisine et vins de France. Ces papiers succulents viennent d’être réunis en un volume sous le titre Encore des nouilles (Les Echappés, 128 pages, 14,90 €), illustré de non moins savoureux dessins de Cabu, Catherine, Charb, Luz, Riss, Tignous et Wolinski.
A la lecture de ces textes, dont le fond et la forme appartenaient résolument au style décalé des sketchs et des livres de l’humoriste, on se demande quel effet ils produisirent sur les lecteurs de ce luxueux magazine, le plus souvent épicuriens, bourgeois et provinciaux. Car les chroniques de Desproges, entre second degré, absurde revendiqué, ironie, coups de gueule et humour noir, tranchaient nettement avec la ligne éditoriale à laquelle ils étaient habitués.
Rien n’est plus réjouissant que ces articles déjantés d’un grand amateur de gastronomie et de bons vins - notamment de bordeaux et de bourgueil - qui revendiquait s’être « toujours méfié des gens qui n’aimaient pas les plaisirs de la table ». Ils reflètent cette période de liberté, antérieure à la loi Evin (1991) et aux interprétations intégristes qu’en font les groupes de pression hygiénistes actuels, durant laquelle on pouvait mettre en lumière les mérites du divin breuvage sans être assimilé à un criminel contre l’humanité ni contraint de conclure par la formule infantilisante « A consommer avec modération ».
Antoine Blondin, auteur de l’inoubliable roman Un Singe en hiver, aurait sans doute apprécié les charges de l’auteur contre les « aquaphiles », telle celle-ci : « C’est pourquoi, au risque de m’attirer les foudres de la Faculté et du Syndicat des garçons de bains en eau douce, je ne crains pas d’affirmer ici haut et fort : l’eau est vénéneuse. Elle contient un autodépresseur suractif dont la consommation régulière peut conduire l’homme au suicide, au meurtre, voire même à s’abonner à Jours de France. [...] Faites comme moi. Ménagez votre santé. Buvez du vin, non de Dieu ! » Il aurait aussi applaudi à cette autre, d’une assez macabre autodérision : « Les vins de Touraine sont anticancérigènes. Je sais de quoi je parle. Ayant toujours en cave un roulement de 300 bouteilles de bourgueil, je n’ai pratiquement jamais de cancer. »
Flânerie culinaire de la France au Québec, en passant par la Sardaigne et l’Espagne, l’ouvrage se présente comme un hymne au goût plein de fantaisie, où alternent un hommage à l’inventeur du « pain pour saucer »(où l'on croise "Marie Curry, créatrice de la sauce du même nom"), une critique des « traditions phallocratiques » dans les restaurants et, plus loin, de l’endive, l’éloge des pâtes, de l’asperge, de la tomate, du camembert (un réquisitoire hilarant contre La Fontaine). Quelques recettes improbables ponctuent le récit, comme celles de la cigale Melba ou du pot-au-feu Marie-Croquette, lesquelles feront grincer les dents des défenseurs des animaux et de l’enfant-roi qui ne prendraient pas le recul nécessaire.
Les tenants du politiquement correct friseront, eux aussi, l’indigestion à la lecture de certains passages, comme cet extrait si desprogien : «Le goût peut être considéré comme le plus distingué des cinq sens. Au reste, il fait généralement défaut chez les masses populaires où l’on n’hésite pas à se priver de caviar pour se goinfrer de topinambours! On croit rêver!!!»
On rit beaucoup au fil de ces pages qui grésillent comme une chronique d’Alexandre Vialatte (l’un des écrivains favoris de l’auteur) et fleurent bon les farces raffinées de Grimod de la Reynière.