Aime-moi, aime mon chat
(Love me, love my cat)
D’après Philippe Mercier, gravure de James McArdell, après 1716
Dans cette chaste gravure, la complicité de la jeune fille avec l’animal se lit dans le parallélisme des regards. Elle le serre dans ses bras pour proclamer le caractère indissoluble et non-négociable de son affection : qui veut me prendre le prend aussi.
Seul le titre (qui ne figurait pas dans la tableau original) rajoute une ambiguïté sur le chat dont il est question.
Jeune femme à sa toilette
Nicolas Lafrensen (attribué à), fin XVIIIème siècle
Une jeune femme essaie de mettre sa jarretière, tandis qu’un chat joue à en attraper le bout. L’autre jarretière est encore posée sur le repose-pieds, bien que la jambe droite porte déjà son bas : l’animal n’a pas envie que sa maîtresse finisse de s’habiller.
Ou de se rhabiller : car les vêtements posés en vrac sur le guéridon et le bouquet de fleur jeté par dessus, révèlent une hâte certaine. Que confirment les roses tombées par terre en perdant leurs pétales.
Dans le bas-relief au-dessus de la porte, un lion chevauché par un Amour inverse, en proportions et en dignité, le minet retourné entre les jambes de la fille.
Sans défense, pattes en l’air, ventre offert, l’animal domestique évoque la soumission de sa maîtresse à l’amour, lequel transforme, comme on sait, les dignes lionnes en chattes joueuses.
Pauvre Minet, que ne suis-je à ta place.
Nicolas Lafrensen, fin XVIIIème siècle
Assise sur son lit, un jeune femme caresse son chat, dont elle envie l’existence : sa vie à elle doit être bien triste, réduite à lire un livre toute seule dans son grand lit. L’arrivée de l’animal de compagnie l’a distraite, elle a jeté l’ouvrage par terre et changé de position pour l’accueillir.
Mais par delà cette situation désolante, le titre a surtout pour objet d’attirer notre attention sur la place du chat : entre les cuisses de sa maîtresse.
A noter également les deux jambes du guéridon et la fente du tiroir entrouvert sous un retroussis de rideaux
Le roman
Gravure d’après Garnerel, fin XVIIIème siècle
Cette gravure affronte plus gaillardement un sujet très similaire. Nous sommes en hiver, comme l’indique le manchon de fourrure abandonné sur le fauteuil. La jeune femme relève sa robe pour profiter de la chaleur, tandis que son chat, recherchant lui aussi le confort du foyer, pose mignonnement sa patte sur le pied de sa maîtresse.
Sur la table, un miroir de voyage s’échappe d’une sorte de sac à main. Celui-ci contenait sans doute le roman que la fille a sorti pour se précipiter dans la lecture, sans prendre la peine d’enlever son chapeau.
Puis l’oeil repère tout un réseau d’allusions : une batterie de pique-feux met en joue la cheminée, un soufflet sur le sol met en joue le chat, la queue du chat met en joue l’index de sa maîtresse, laquelle se met en joue (et en joie) elle-même. Sur le tapis, un motif saillant qui titille un motif rayonnant synthétise cette thématique.
Nous comprenons alors que le roman est dangereux pour les jeunes filles parce qu’il développe leur auto-érotisme (le miroir) et pousse leur main vers telle ou telle fourrure.
Le lever
Gravure de Massart d’après Baudoin, 1771
La métaphore fonctionne quelque fois à contre-sexe, lorsque Minet met en valeur sa partie « queue » : il la dresse ici à la verticale en voyant le téton que lui montre sa maîtresse, tandis que la bougie du guéridon réitère le symbolisme.
Tu ne dois pas tirer (You Mustn’t Pull)
Arthur John Elsley, 1901
Tout au long du XIXème siècle, la signification du motif s’édulcore, sans s’oublier totalement. Au point qu’un peintre victorien parfaitement respectable, spécialisé dans les enfants et les animaux de compagnie, ne craint pas de placer un petit chat à l’endroit stratégique.
Tout en donnant au tableau un titre à double sens à l’usage des happy fews : pour ne pas réveiller le chaton endormi, tu ne dois pas tirer (ni la couverture, ni un coup).
Minet s’ennuie
Carte postale, 1914-18
La grande guerre va voir refleurir l’iconographie de la jeune fille au chat : cette carte postale renouvelle, dans un registre plus gourmand et moins littéraire, le thème de la mélancolie de l’esseulée. Le décor rococo revendique d’ailleurs une filiation bon chic avec l’époque des gravures libertines. Et la longue lampe mise sous housse par l’abat-jour fournit un symbole modernisé de l’objet qui manque ici.
Mi-aou
Carte postale, 1914-18
Les matous de Montmartre, s’appelant de part et d’autre de la lune, ont quitté leur statut de symbole exclusivement féminin pour illustrer l’appel mutuel des sens, entre l’arrière et le front : miaou épistolaire dans un sens, permissionnaire dans l’autre. Du coup la dame et le monsieur prennent des poses félines : l’une s’étire sur son fauteuil, l’autre s’effile la moustache.
A noter le décor rococo identique : les deux cartes faisaient partie de la même série.
La petite marraine du Poilu
Carte postale, 1914-18
La sagesse de l’illustration fait contraste avec la crudité de l’explication liminaire. La question de la fourrure est désormais abordée sans détours.
Le langage des chats
Carte postale, 1914-18
Tel l’aiguille d’un baromètre, l’index du soldat hésite entre « Actif » et « Fougueux », dans cette météorologie féline.
Les chats aiment les saucisses
Carte postale, date inconnue
Autre carte postale à prétention encyclopédique : à noter la taille croissante en fonction de l’âge.
Le poêle
Xavier Mauzan, carte postale, vers 1920
Cette carte renoue avec la tradition allusive du XVIIIème siècle. Le poêle rassemble toujours nos deux amateurs de chaleur : la jeune fille retroussant sa robe et son chat. Une descente de lit en léopard réunit les différents félins.
Contrairement à ce qu’il semble, le chat blanc ne s’intéresse pas à cet alter-ego symbolique que la maîtresse lui montre, mais à un autre alter-ego : le pot à lait mis à chauffer sur la plaque.
Car par une ironie discrète, le pot arrondi avec son anse épouse la forme du chat assis sur sa queue. Et le poêle emmanché d’un tuyau en hors champ figure, dans le dos de la jeune fille, des satisfactions à venir.
Dans cette fable du Poêle et du Pot à Lait, les objets prennent la forme du désir de chacun.
Danseuse se reposant
Degas, 1879-1880, Collection privée
En attendant que son café ou que son thé chauffe, la danseuse lit le journal.
A l’issue de notre parcours, cet innocent pastel prend une tonalité inattendue. La sensation d’incongruité ne réside pas, comme on le croit au premier abord, dans le prosaïsme de l’attitude, au sein d’un monde sensé être féérique et gracieux (voir Femme de plume en tutu).
Mais dans le contraste voulu entre cette féminité de gaze et de papier, et la masculinité métallique de ce poêle priapique, avec son tuyau à hauteur de sexe, métaphore, comme on voudra, d’érection ou de pénétration.
Petit chat de compagnie et petit rat de l’opéra jouent semblablement avec le feu,
et se chauffent les poils près du brasier prêt à les dévorer.
La tournée du Chat Noir
Poster de Alma Canchola
Cette intéressante reprise du matou célèbre de Steinlen destitue définitivement les vieilles métaphores galantes : la femme assume sa totale félinité, la boisson chaude n’est plus un excitant, « Pauvre minet » est devenu « Heureux Felix », comblé de toutes les caresses : sans plus de mystères que sa queue en point d’interrogation.
Guillerm, Le système de l’iconographie galante, article dans « XVIIIeme siècle », 1980 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k327527/f193.image.r=guillerm le systeme de l’iconographie galante.langFR