Difficile de revenir sur la
foirade monumentale qu’a été feu l’Ecotaxe sans avoir l’air de tirer sur une
ambulance accidentée.
Pour autant, cette pitoyable histoire mérite quand même que l’on s’interroge
sur ce qu’elle révèle de nos tares collectives.
Rappelons, s’il en est besoin, que l’Ecotaxe a été votée dans une
quasi-unanimité tout à fait exceptionnelle en 2009 dans le cadre de la Loi
Grenelle Environnement. Elle a été imaginée pour mettre en pratique le fameux
concept du pollueur/payeur, avec dans le rôle du pollueur et donc du payeur les
camions de plus de 3,5 tonnes roulant sur les nationales et départementales.
Les cibles particulièrement visées étant les transporteurs étrangers qui
viennent nous polluer notre bon air pur et nous saccager nos belles routes
goudronnées sans vergogne et sans payer.
Les sommes récoltées étaient à cette époque évaluées à environ 1,2 milliards
d’euros destinées à financer des investissements d’infrastructure. Jusque là,
tout va bien pour peu que l’on adhère au concept.
Ca c’était en 2009. 5 ans plus tard ou en est-on ?
Le projet a été balancé à l’eau avec un lest en or massif, évalué à presque
1 milliard d’euros, autour du cou.
Les sous qui vont manquer pour financer les beaux projets vont être
ponctionnés à droite et à gauche sans, comme d’habitude, aucune cohérence avec
la finalité initiale de la taxe.
173 portiques électroniques à 800 000 euros la bête vont être envoyés à la
casse et près de 200 salariés embauchés dans le centre d'appel de Metz vont
être virés avant d’avoir commencé leur boulot.
Et je ne parle même pas des centaines de milliers de boitiers spéciaux dont
les transporteurs ont du équiper leurs camions !
Et tout cela dans l’indifférence générale des politiques de droite comme de
gauche qui devraient quand même s’étonner que l’on escamote purement et
simplement un projet qu’ils ont pourtant tous voté avec enthousiasme il n’y a
pas si longtemps !
Comment en est-on arrivé et pourquoi ?
Une fois le premier moment d’enthousiasme passé, là ou ça a commencé à se
gâter, c’est lorsqu’il a fallut mettre en œuvre la dite loi. Parce qu’une fois
que l’on a dit qu’il fallait taxer et qui il fallait taxer, il reste le plus
difficile, le comment !
Et là, l’imagination fertile de nos grosses têtes de technocrates a imaginé
un système que l’on pourrait assez facilement qualifier d’usine à gaz. Et qui
dit usine à gaz, dit complexe et donc couteux.
Pour la complexité, je vous épargne les détails, je la fait brève.
Le principe consiste à faire payer par tous les poids lourds de plus de 3,5
tonnes, la distance parcourue sur le réseau retenu.
On a donc mis en place un système pour déterminer le nombre de kilomètres
parcourus par les camions qui s’appuie sur plus de 4 100 points de tarification
dont le franchissement entraîne la facturation de la section correspondante
(environ 4 kilomètres).
Pour cela, chaque poids lourd doit s’être équipé d’un boitier GPS
spécial.
Les données du boitier sont enregistrées puis traitées par des sociétés de
télépéage habilitées qui calculent ensuite le montant exact de la taxe due sur
la base d’un taux qui dépend : du type de poids lourds, de sa classe
d’émission Euro, éventuellement du niveau de congestion de l’infrastructure et
de la zone géographique. Parce qu’évidemment, selon que vous circulez en
Bretagne, en Midi-Pyrénées ou en Alsace vous ne paierez pas la même
chose.
Et comme il faut bien s’assurer qu’il n’y a pas trop de resquilleurs, on a
mis en place toute une infrastructure lourde pour contrôler que les boitiers
sont correctement installés et qu’ils ne sont pas trafiqués. Ce sont les fameux
portiques qui paradoxalement se sont révélés être le maillon faible du
dispositif. La taxe est ensuite payée soit à travers un système d’abonnement
souscrit auprès d’une des sociétés de télépéage soit à travers un crédit
prépayé directement auprès d’Écomouv’.
Enfin, Écomouv’ collecte la taxe pour la reverser à l’agence qui finance les
infrastructures de transport en France, l’AFITF.
Un système complexe donc et forcément couteux à la fois en termes
d’investissement et de frais de fonctionnement. Ces frais ont d’ailleurs été
évalués à 260 millions d’euros par an puisque c’est la somme annuelle
contractuellement promise à Ecomouv' pour qu’elle puisse assurer le
financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la
maintenance de l'ensemble du dispositif.
Donc, à ce stade, pour collecter une nouvelle taxe, l’Etat s’est engagé dans
la mise en oeuvre d’un système lourd qui, quoi qu’il arrive, lui coute 260
millions d’euros par an ce qui, même si tout s’était bien passé, aurait été
tout à fait contestable. Par-dessus le marché, personne n’avait anticipé que
les fameux portiques destinés à contrôler que tout le monde joue le jeu,
constituaient le maillon faible du dispositif puisqu’à la merci de quelques
vandales équipés d’instruments sommaires.
L’affaire n’était donc déjà pas très bien née parce que, comme d’habitude,
une fois que la décision politique a été prise, les modalités de mise en oeuvre
ont été laissées entre les mains de technocrates pour lesquels simplicité et
efficacité ne sont pas les préoccupations premières.
Mais ce projet a malheureusement cumulé les handicaps. A cette tare
congénitale qui a transformé une taxe simple et à la finalité claire, en un
projet complexe et couteux, c’est ajouté un autre grand classique de la société
française, l’imprévoyance et l’irrésolution des politiques.
Elément du Grenelle de l’Environnement auquel toute la classe politique se
devait d’adhérer avec enthousiasme, la taxe carbone a été considérée par tous
comme une superbe idée. Tellement belle idée que personne ne s’est donné la
peine de faire de la pédagogie sur ce qui relevait d’une véritable évidence.
Sauf que ce que n’avaient pas prévu ces mêmes politiques, c’est que cette taxe
aboutirait à un bien mauvais moment, celui du ral le bol fiscal provoqué par
les hausses successives des prélèvements fiscaux initiés tant par Sarkozy que
par Hollande. C’est ainsi qu’une taxe qui, paradoxalement, avait plus de sens
que beaucoup d’autres, a été considérée par toute une région comme le symbole
de l’oppression fiscale.
Et c’est là qu’intervient le dernier et décisif élément, celui qui a porté
le coup fatal à feu la taxe.
Il n’a fallut que quelques dizaines d’excités du bonnet … rouge, pour que
l’Exécutif commence par faire une ristourne substantielle aux transporteurs
bretons (-40%) puis finisse par saborder la taxe purement et
simplement.
Avec une réactivité tout à fait inhabituelle, sans qu’il ait l’ébauche d’une
interrogation publique, sans que les parlementaires qui avaient voté la taxe
n’aient été à aucun moment consulté, sans avoir la moindre idée sur les sources
de financement de substitution et alors que des sommes énormes ont été
dépensées pour sa mise en œuvre, exit la taxe carbone !
Pourtant, la situation des transporteurs routiers n’a pas fondamentalement
changé en 5 ans !
Alors de deux choses l’une, soit l’idée que la grosse majorité des députés
de l’époque a votée comme un seul homme était une très mauvaise idée, soit le
gouvernement a mis au rencart une bonne initiative sous la pression de quelques
agités.
Dans le premier cas, on peut s’inquiéter de la légèreté de ceux qui nous
gouvernent, et dans le second de leur manque de courage politique. Dans tous
les cas on s’inquiète de la capacité de notre classe politique à réformer la
France dans les conditions difficiles que nous connaissons.
Au-delà de ça, car il est facile d’accabler nos politiques, cette pitoyable
reculade sur la taxe carbone est également bien symptomatique de notre
résistance collective au changement. Résistance d’autant plus facile à imposer
que, comme l’Ecotaxe l'a encore parfaitement démontré, il suffit de gueuler
bien fort et de casser quelques biens communs pour imposer à la collectivité de
renoncer à ses projets au détriment de l’intérêt général.
Décidément cette malheureuse histoire est bien instructive, mais ça fait vraiment cher la leçon !