d'après LA PETITE ROQUE de Maupassant
Ce 12 juillet à huit heures,
Joël, le facteur de Jouy-sur-Eure
Commençait la distribution du courrier.
Il longeait le Duriet,
L’étroite rivière qui serpentait
Au travers d’une futaie
Appartenant au maire du village,
M. Jean-François Delage.
Soudain, le facteur s’arrêta :
Devant lui, à cinq pas,
Gisait sur le dos, un corps nu d’enfant,
Une jeune fille d’environ quatorze ans.
Elle avait le ventre ensanglanté,
Les jambes et les bras écartés.
Affolé, le facteur courut à la mairie :
-« Monsieur le maire est-il arrivé ?
J’ai à lui parler. »
L’instant d’après, Delage l’accueillit :
-« Hé ben, Joël, qu’y-a-t-il donc ?
Le maire était un homme riche et bon,
Rouge et fort comme un bœuf,
Âgé de quarante ans et veuf
Depuis six mois.
-« Oh ! M’sieur l’ maire, qué choc !
Y a une morte dans vot’ petit bois. »
-« Il s’agit sans doute de la petite Roque.
Sa mère est venue me voir :
Sa fille n’est point rentrée depuis hier soir. »
Delage convoqua le garde champêtre,
Le docteur Labarge et le secrétaire
De mairie,
Yves Le Bris.
L’équipe ainsi composée,
Se rendit aussitôt sur les lieux.
Labarge, penché sur le corps, l’examinait
Comme on regarde un objet curieux
Puis prononça en se relevant :
-« Viol, étranglement…
…C’est la petite Roque, en effet.
Il faut prévenir le parquet. »
Le maire ordonna à Le Bris :
-« Va chercher le brigadier de gendarmerie
Et préviens le juge d’instruction, tu entends ! »
Le secrétaire de mairie s’éloigna vivement.
En fin d’après-midi,
Toutes les constatations étant finies,
Le corps fut enlevé. Delage rentra chez lui.
Fatigué, il ne dina pas, se mit au lit
Et rapidement s’endormit.
Les gendarmes arrêtèrent trois suspects :
Un braconnier, un pêcheur, et Clovis,
Un piqueur de bœufs. Comme ils avaient des alibis,
Les recherches, tout l’été,
Se prolongèrent.
Le criminel n’ayant pas été découvert.
Le parquet ferma le dossier.
Au pays, on crut que ce petit bois était hanté
Et l’endroit était évité.
L’automne vint.
Un matin,
Une nouvelle courut dans la région :
Le maire faisait abattre sa futaie.
Et à longueur de journée
Il surveillait les bûcherons
Quand un arbre tombait,
Il posait le pied sur le fût
Et ne bougeait plus,
Puis levant les yeux vers le tronc suivant,
Il se montrait impatient,
Comme s’il eût espéré
Quelque chose à l’issue de l’abbatage.
Quatre jours après,
Les scieurs œuvraient dans les parages
Où la petite Roque avait été trouvé.
Un des ébrancheurs dit :
-« M’sieur le maire, restez pas ici.
Vous êtes trop près ;
Quand il tombera, ça pourrait vous tuer. »
En fin d’après-midi,
Le maire rentra chez lui.
Dès qu’il fut arrivé,
Il se mit à pleurer
Et pensa ’’ J’ai le temps avant le diner ’’.
Il ferma sa porte à clef,
Prit son revolver,
Ouvrit les lèvres,
Enfonça le canon entre ses dents
Puis brusquement,
Il murmura :
-« Je ne peux pas. Je n’ose pas.
Je n’ai pas le courage de me tuer ! »
On frappa à sa porte. Il se dressa.
Sa servante lui annonça :
-« Monsieur, le diner est prêt. »
-« C’est bien, je descends. »
Il mangea lentement,
En homme qui veut faire traîner le repas.
Puis il remonta,
Alluma une bougie
Regarda sous son lit,
Ouvrit ses deux armoires,
Explora tous les tiroirs :
Il savait bien qu’il allait la voir,
Comme tous les soirs,
La petite Roque qu’il avait violé
Puis étranglée.
Toutes les nuits, il haletait ;
Il étouffait.
L’odieuse vision recommençait.
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Depuis trois mois, une autre pensée
Le hantait, la pensée de se remarier.
Il souffrait de vivre seul physiquement
Et moralement,
Un matin, après un songe obsédant,
Le désir lui était venu d’aller
Se baigner dans le Duriet
Pour apaiser l’ardeur de son sang.
En approchant de la rivière,
Il avait entendu chanter
D’une voix légère.
Dans l’eau, une jeune fille s’ébattait.
Elle était toute nue, grasse et formée.
Le cœur battant, Delage s’était arrêté.
La petite Roque sortait
Du bain et allait s’habiller.
Il se sentit inexorablement
Poussé vers elle par un bestial emportement.
Perdant toute raison, il s’était rué
Sur elle, trop effarée pour résister,
Trop épouvantée
Pour appeler.
Il l’avait possédée sans penser
À ce qu’il faisait.
Alors, l’enfant avait crié.
Et Delage, comme fou,
Lui avait serré le cou
Jusqu’à ce qu’elle cesse de respirer.
Puis, il s’en était allé se montrer
À des paysans qui habitaient
De l’autre côté du pays.
Il avait ensuite traversé plusieurs prairies
Pour regagner la Piéride, son château
Et déjeuna aussitôt.
Les jours suivants,
Pendant tout le temps
Que l’enquête dura,
Il assista aux constatations.
Il discutait avec les magistrats,
Évoquait plusieurs suppositions,
Contestait leurs opinions,
Prenait plaisir à embrouiller leurs idées,
À troubler leurs perquisitions,
Et à innocenter ceux qui étaient suspectés.
Quand les recherches furent abandonnées,
Le maire eut de nombreuses hallucinations,
Et d’horribles visions.
Lui apparaissait un fantôme aux membres écartés
Comme ceux du corps retrouvé.
Alors, Delage avait cherché
La manière de se tuer :
Se faire écraser par un arbre dans sa futaie,
S’empoisonner,
Se tirer une balle de pistolet…
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Une idée a traversé son esprit :
Se dénoncer au juge. Il lui écrivit
Mais, sa lettre était-elle à peine postée,
Qu’il se dit : ’’ Elle est mauvaise, mon idée.’’
Il décida de la récupérer.
Il attendit neuf heures,
L’heure du passage du facteur.
En l’attendant, il se mit à penser
Aux choses qu’il aimait
Et se demanda : ’’ À quoi bon se tuer.
Un long voyage me suffirait
Pour oublier.’’
Dès que Joël eût relevé le courrier,
Le maire lui a demandé :
-« J’ai par erreur jeté
Une enveloppe dans cette boîte à lettres
Rends-la-moi, s’il te plait. »
L’attitude du maire ne semblait pas naturelle
-« M’sieur l’ maire, C’te lettre,
À qui qu’elle est adressée ? »
Questionna Joël
-« Au juge Patin,…tu le connais.. »
Le facteur saisit le pli que le maire réclamait.
Il le regarda, perplexe et troublé
En le tournant dans ses doigts et le retournant.
Le maire voulut le lui arracher.
Ce geste convainquit Joël qu’il s’agissait
D’un secret ou d’un mystère important.
Alors, il se décida à faire
Son devoir de fonctionnaire.
Il jeta l’enveloppe dans son sac, le boucla
Et répondit au maire : -« Non, j’ peux pas ;
Comme votre lettre va
À la Justice, j’ peux pas. »
Saisi d’angoisse, Delage balbutia :
-« Mais tu sais mon hônneteté…
Je te dis que j’ai besoin de ce papier. »
-« J’ peux pas. »
-« Mais je ne cherche pas à te tromper. »
-« Non, j’ peux pas. »
-« Je ne badine pas, moi :
Je peux supprimer ton emploi,
Mon bonhomme, et sans tarder.
Et puis enfin, je suis le maire.
Je t’ordonne de me rendre ce papier. »
-« Non, je n’ peux pas, m’sieur l’ maire ! »
-« Je te donnerai de l’argent volontiers…
Tiens, voici cent francs. »
Joël tourna les talons et partit.
Le maire le poursuivit :
-« Écoute, Joël, je te donne mille francs. »
Faisant le sourd,
Le facteur allait toujours.
Delage insistait :
-« Je ferai ta fortune…Je te le promets.
Cinquante mille francs…
Cinquante mille francs…
L’œil sévère,
Le facteur se retourna vers le maire :
-« Je vais répéter ce que vous me dites là. »
Bouleversé, le maire se sauva,
Monta au sommet de la tour de la Piéride,
Et s’élança dans le vide.