d'après ÇA IRA de Maupassant
J’étais en déplacement à Dreux.
Que faire, mon Dieu
Le soir, dans cette ville inconnue ?
Je parcourais la Grand Rue
Et entrais dans un bureau de tabac :
-« Avez-vous des cigares Partagas ? »
La patronne, cheveux grisonnants,
Avait environ cinquante ans,
Curieusement, son visage m’évoqua
Quelque chose de familier.
L’aurais-je déjà rencontrée ?
Je ne m’en souvenais pas.
-« Excusez-moi de vous examiner ainsi
Mais il me semble que je vous connais. »
-« C’est drôle…moi aussi. »
Je poussai un cri : -« Ah ! Ça ira ! »
-« Oh ! oh ! si on vous entendait… »
Puis aussitôt, elle s’écria :
-« C’est toi, Mérieux ? »
Comment à Dreux
Avais-je pu reconnaitre ça ira,
La belle ça ira ?
Que de souvenirs s’éveillèrent en moi :
Bougival, Chatou, la maison Galopois,
La Grenouillère, dix ans de ma vie
Sur ce délicieux bout de rivière.
Nous étions à moitié nus, à moitié gris.
Notre bande possédait
Une vingtaine de canotières.
Parmi celles-là,
Il y avait
Ça ira.
Nous l’avions baptisée ça ira
Parce qu’elle se plaignait
Toujours de sa malchanceuse destinée.
Son véritable prénom était Sarah.
Les canotiers la croyaient israélite.
Certains l’appelaient
Zaïra, d’autres Zara.
Et voilà que je la retrouvais à Dreux.
Je lui ai demandé tout de suite :
-« Tu vis mieux ici, qu’autrefois à Chatou ? »
-« Un peu mieux. »
-« N’avais-tu pas un emploi à Paris ? »
-« Oui, j’étais chez Mme Graveloux,
La grande modiste, rue de Rivoli. »
Et elle se mit à me raconter
Sa vie ancienne,
Celle des autres employées
Mille secrets de la vie parisienne,
Toute son histoire
D’épervier de trottoir
Qui chassait par les rues, le matin,
En se rendant à son magasin,
Le midi, en flânant,
Le soir, en rentrant
Et les dimanches, à Chatou.
Enfin, elle me raconta tout !
Elle vida en un instant
La totalité de ses souvenirs
Amassés depuis si longtemps :
Vie galante, misères, rires…
-« Mais ce débit de tabac,
Comment as-tu fait pour l’acheter ? »
-« Oh ! C’est toute une affaire. Voilà :
J’avais connu un député.
C’est de lui que j’ai eu Roger. »
-« Qui ça ? » -« Mon fils, Roger.
Il me versa une pension pour l’élever.
J’ai économisé.
Et au bout de seize ans, j’ai pu acheter…
Bref,… Tiens, justement, voilà Roger. »
Un grand jeune homme entrait,
Brun, poseur, bien propret.
Il embrassa sa mère qui me dit :
-« Tu sais,
Il est chef de bureau à la mairie.
…C’est un futur sous-préfet. »
Avant de m’en aller, je saluai Roger
Et sur la main de Ça ira, déposai un baiser.