Dans un billet de blog, Juan Mazzini, analyste du cabinet Celent, ne cherche pas à directement trancher la question mais il pose toutefois quelques éléments de réflexion intéressants, sur la base des échanges qu'il a modérés lors d'une table ronde réunissant plusieurs acteurs concernés (dont un banquier et un dirigeant de startup). Partons de ses points clés issus du débat pour essayer de comprendre quels sont les facteurs de blocage (ou, a minima, de handicap) de l'indispensable transition numérique…
Sans surprise, le premier critère de décalage entre banques traditionnelles et nouveaux entrants tient au poids du patrimoine informatique : les premières doivent composer avec des systèmes datant de plusieurs décennies, donc totalement inadaptés aux exigences modernes, tandis que les seconds, partant de rien, bâtissent leurs modèles en fonction des besoins émergents. Incidemment, les jeunes pousses les plus performantes à long terme seront celles qui comprennent dès maintenant qu'elles doivent se prémunir contre le risque de créer leur propre futur « boulet » historique.
Pourtant, les grandes institutions financières ont un avantage considérable, en termes de moyens et de ressources. Elles sont en effet capables d'investir des centaines de millions (voire des milliards, pour quelques-unes) pour faire évoluer leurs infrastructures et créer les solutions qu'attendent leurs clients. Avec de telles réserves, les limitations du Système d'Information existant ne devraient pas résister longtemps et il devrait être facile de faire mieux que des jeunes pousses ayant levé quelques millions pour se lancer.
Hélas, la résistance se déplace alors à un niveau qui n'est plus celui de la technologie. C'est en effet toute la culture d'entreprise qui limite la capacité à innover – étroitement liée à la notion de révolution numérique – et à appréhender les changements à orchestrer. Il s'agit, bien évidemment, d'un sujet que ne connaissent pas les jeunes entrepreneurs, et là se fait l'essentiel de la différence entre les deux univers. Savoir oser prendre une autre direction, à tous les niveaux de l'organisation, est la clé de la transformation.
Vient ensuite la nécessaire considération des besoins réels des clients d'aujourd'hui. Ainsi, il est peut-être inutile de créer de nouveaux produits financiers alors que les consommateurs sont d'abord demandeurs de solutions les aidant à gérer leur budget et à épargner et que les responsables de PME voudraient en priorité être accompagnés dans le développement de leurs activités. Il faudra aussi comprendre comment tous utilisent les technologies et où, dans leurs parcours, peuvent s'insérer les services de la banque.
Dans le même registre, surgit inévitablement la question des clients qui n'ont pas franchi le pas du « digital » et qu'il n'est pas envisageable de laisser sur le bord de la route. Or, dans ce domaine, les acteurs historiques se frottent les mains, puisqu'ils ont un réseau d'agences pour répondre aux besoins de ces personnes, contrairement aux startups opérant exclusivement en ligne. Seul bémol, un effort de rénovation important est nécessaire afin d'adapter les points de vente aux évolutions des comportements (tiens ! les budgets ne posent pas de problèmes, dans ce cas…).
Raisonnement étrange et schizophrénique car, d'une part, le temps que les institutions achèvent leur mutation, il y a fort à parier que tous leurs clients auront déjà effectué la leur, et, surtout, les modèles d'agence (« du futur » !) qu'elles mettent en place vont à contre-sens de la stratégie déployée. En effet, la plupart de ces initiatives vise à développer les outils en libre service, à grand renfort d'écrans divers et variés. Si l'objectif est de convaincre les utilisateurs des bienfaits du « digital », il faudrait commencer par aligner l'offre sur celle des ténors (qui, à défaut, les séduiront mieux)…
Enfin, la transformation de la banque ne se fera pas « auto-magiquement », il faudra au contraire y consacrer des efforts importants, dans la durée. L'analyste de Celent cite en exemple le rachat de Simple par BBVA (un investissement significatif, certes) mais le plus difficile et le plus long sera bien de changer la culture d'entreprise. Même le premier pas, qui consiste à évaluer la situation présente et à déterminer ce qu'il est possible et raisonnable d'entreprendre, peut constituer un défi dans certaines organisations…