La Société Jean Malaquais vient de faire paraître le quatrième numéro de son cahier annuel. Un numéro entièrement consacré aux « Lettres d'Amérique » envoyées par l'auteur des Javanais et de Planète sans visa. Dans sa préface, Geneviève Nakach, présidente de la Société Jean Malaquais, rappelle ce parcours américain :
« Les lettres inédites de Jean Malaquais que Pierre Masson* a sélectionnées pour ce Cahiercourent du 17 juin 1943 au 10 juin 1949. Pendant ces années dominées par les bouleversements de l'Histoire avecsa grande Hache, Malaquais fut ballotté d'un pays à l'autre. Il s'en fallut de peu pour que cet apatride, juif et marxiste n'allât « fertiliser les sillons du troisième Reich », comme il l'écrivit lui-même dans le Journal du métèque. Traqué comme des milliers d'autres en attente de visas salvateurs, il parvint à fuir l'Europe, grâce à Gide, grâce au consul Gilberto Bôsquez qui lui fournit les visas de transit vénézuéliens et grâce à l'intervention providentielle d'un nommé Sorret qu'il avait connu au régiment. Le 26 septembre 1942, avec sa compagne Galy, il finit par rejoindre le Venezuela où il séjourna quelques mois avant de débarquer au Mexique le 9 mars 1943. »
De mars 43 à décembre 45, Malaquais séjourne principalement à Mexico. Ils quittent ensuite le Mexique pour s'installer aux Etats-Unis ce même mois de décembre 1945, grâce à un passeport Nansen**. « Les lettres que nous publions n'évoquent pas seulement les diverses contributions de Jean Malaquais aux revues d'Amérique du sud. Elles permettent de se faire une idée assez précise des projets littéraires de notre auteur et de son activité dense et protéiforme. C'est: en effet à cette période qu'il achève la rédaction d' « un roman sur la France sous la botte allemande » : il s'agit, on l'aura deviné, de Planète sans visa, grâce auquel il comptait « retrouver au plus tôt le lecteur de France » dont il s'était éloigné bien malgré lui depuis la guerre et depuis la publication des Javanais en 1939 consacré prix Renaudot la même année. », ajoute Geneviève Nakach.
Et il est bien entendu question de Gide : « Enfin et surtout, c'est à ce moment-là qu'il prit la plume pour défendre son ami André Gide. Ce dernier déclarait dans une lettre dont Malaquais recopia ces lignes pour Schiffrin: « Mes Pages de Journalparues dans L'Archeont été l'objet de furieuses attaques communistes. A l'Assemblée Consultative, un député du parti a même demandé mon emprisonnement et ma mort, car, disait-il, j'avais "insulté le paysan français", tout comme hier, j'avais "insulté" le peuple russe. La liberté, sinon de pensée, du moins d'expression, est compromise pour longtemps ». Malaquais décida de répondre aux censeurs du Parti Communiste au premier rang desquels trônait Aragon. Il composa le pamphlet cinglant au titre tranchant Louis Aragon, ou le Patriote Professionnel***qu'il traduisit d'abord en anglais pour une publication dans la revue américaine Politics. »
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* Pierre Masson, président des Amis d'André Gide, est également vice-président de la Société Jean Malaquais. Avec Geneviève Nakach, il a préfacé et annoté la Correspondance Gide-Malaquais (Phébus, 2000)** Certificat d'identité et de voyage imaginé par Fridtjof Nansen, premier haut-commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations, pour les réfugiés apatrides. Nabokov l'évoque dans son autobiographie : « La Société des Nations munissait les émigrés qui avaient perdu leur citoyenneté russe d'un passeport dit Nansen, document très accessoire, d'une nuance vert livide. Son titulaire était à peine mieux qu'un criminel libéré sur parole et devait passer par d'odieuses épreuves chaque fois qu'il voulait voyager d'un pays dans l'autre, et plus les pays étaient petits, plus ils étaient tatillons. » (Vladimir Nabokov, Autres rivages)*** Voir ici le texte de ce pamphlet dans lequel Malaquais prend la défense de Gide contre Aragon le "petit salaud", la "précieuse canaille", le "prétendu « poète » (pauvre poésie !)" et ajoute : "cet homme mérite le crachat de tout honnête citoyen".