Le centre Saint Camille d’Avrankou au Bénin recueille les malades atteints de schizophrénie et de psychose. Les méthodes employées par le centre sont originales : les patients sont encadrés par d’anciens malades et reçoivent une formation professionnelle pour être réinsérés au plus vite. Ce qui a l’air simple mais ne l’est pas forcément. Parce qu’en Afrique, encore plus qu’ailleurs, il faut souvent faire des miracles avec des bouts de ficelles.
Les patients de Saint Camille se sont tous perdus. Mais beaucoup se sont retrouvés. « Se retrouver », c’est l’expression communément utilisée au centre. On ne guérit pas, on se retrouve. Consterné par le traitement réservé aux malades mentaux en Côte d’Ivoire, Grégoire Ahongbonon s’est jeté corps et âme dans leur protection. La cause d’une vie. Cet ancien vendeur de pneus, victime lui-même d’une dépression profonde, est persuadé au retour d’un pèlerinage à Jérusalem qu’il n’en fait pas assez pour les autres et qu’il est temps d’agir. En 1994, il crée un centre d’accueil pour prendre soin des malades mentaux. Celui de Bouaké, en Côte d’Ivoire, sera le premier d’une série qui en compte aujourd’hui cinq au Bénin et dix en Côte d’Ivoire. Celui d’Avrankou est un centre de soin et d’hébergement rattaché à un centre de formation. A ce jour, il accueille quelque 200 patients.
CÉRÉMONIE D’ACCUEIL
Dans la petite chapelle du centre d’hébergement, à une quarantaine de kilomètres de Cotonou, les visiteurs sont accueillis par les patients qui, un à un, viennent se présenter. Ils reviennent sur leur histoire, parfois décousue, souvent douloureuse. Une jeune femme s’est levée, un peu agitée, elle raconte : « Je suis ici depuis 2007, j’ai été amenée par ma famille. Elle a pris peur quand je lui ai dit que l’Ange Gabriel me parlait et me disait de chanter, de danser… Personne ne me croyait. » La jeune femme porte ses mains à sa bouche, elle parle sans avoir l’air de savoir vraiment ce qu’elle dit, le regard fuyant d’une petite fille qui vient de dire une bêtise. Trois autres patients prennent la relève et rapportent ce qu’ils ont enduré. Les bastonnades, l’errance dans la rue, les chaînes qu’on leur a passées aux poignets ou aux chevilles lorsqu’ils ont perdu la raison.
LES POPULATIONS IGNORENT TOUT DES MALADIES MENTALES
Les patients du centre d’Avrankou souffrent de schizophrénie, de dépression profonde ou de psychose sur lesquelles aucun diagnostic n’avait jusqu’alors été posé. Les populations ignorent tout des maladies mentales. Soupçonnés d’avoir été ensorcelés ou d’être possédés par des forces démoniaques, les malades sont considérés comme une honte pour leur famille et les contacts physiques avec eux se font rares, par peur de la contamination. Dans leurs villages, ils sont isolés, battus, soumis à des séances d’exorcisme brutales. A force d’entendre qu’ils sont possédés, les malades en viennent à s’en persuader eux-mêmes.
Léonie Agouinzia , 31 ans, est au centre depuis six ans. Elle vient de Ganvié, un petit village sur pilotis au nord de Cotonou. Lorsqu’elle « se perd », ses parents prennent peur et font appel à la médecine traditionnelle. Ils l’amènent chez le guérisseur du village.« J’y suis restée six mois, enchaînée, je pouvais faire quelques pas mais je ne pouvais aller nulle part. Le guérisseur m’a fait boire des tisanes pour que ça aille mieux. »
Voyant son état empirer, ses parents décident de l’amener au centre. Une chance.
UN CENTRE GÉRÉ PAR D’ANCIENS MALADES
L’arrivée au centre est comme une renaissance. Les malades ne sont alors plus traités que pour ce qu’ils sont : des êtres humains. Innocent Amadji, directeur, explique : « Après être diagnostiqués par des psychiatres, on leur prescrit un traitement médical. Ensuite, on leur explique ce qu’ils ont. C’est basique, mais il faut insister sur le fait qu’ils sont malades et non pas possédés. » Comment convaincre que la guérison est possible et que la maladie n’est pas un sortilège ? C’est là toute l’ingéniosité et la simplicité de la méthode : recruter des patients guéris pour gérer le centre. Ainsi, tous les jours, les nouveaux venus sont au contact d’anciens malades qui s’en sont sortis et sont la preuve bien vivante qu’il existe une vie après la maladie. En effet, sur la quarantaine d’employés travaillant au centre, seuls deux ne sont pas d’anciens patients. Certains d’entre eux ont suivi une formation en informatique ou d’aide soignant et exercent sur place. D’autres aident aux tâches quotidiennes, ils veillent sur les malades, les habillent, les aident à manger, etc. La directrice du centre de Djougou, dans le nord du Bénin, est elle-même une ancienne patiente. Il arrive que la guérison prenne du temps, parfois plusieurs années et que les rechutes se suivent. « Dans ce cas, précise le directeur, Innocent Amadji, les patients sont gardés au centre. Ils ne sont renvoyés chez eux que lorsqu’ils sont guéris. »
UNE FOIS STABILISÉS, IL S’AGIT DE LES OCCUPER
Dès qu’ils sont prêts, les patients en voie de guérison sont orientés vers le centre de réinsertion. « L’inactivité est la pire des conditions, c’est lorsque vous vous mettez à penser, à ressasser, que vous rechutez. » La théorie de Grégoire Ahongbonon a fait ses preuves. Le centre compte aujourd’hui une boulangerie, un atelier de couture, un atelier de peinture sur batik et une ferme d’élevage de porcs. Une fois encore, chacune de ces activités est chapeautée par un ancien malade. Lorsqu’il s’est perdu, Raymond Madou S.Y. a d’abord été trouvé par la police. « Je faisais des colères terribles et inexpliquées. Les policiers m’ont battu toute la nuit. Pour eux, j’étais un bandit. » Il raconte son histoire calmement, d’une traite et sans honte. Apprenant que Raymond exerçait le métier de boulanger, le fondateur du centre décide de construire une boulangerie et lui en donne les rênes. Raymond devient alors boulanger formateur d’une dizaine d’hommes en quête d’eux-mêmes. « Depuis que je suis à la boulangerie, je n’ai eu aucune rechute. J’ai pris femme, lance-t-il, nous avons deux enfants. Non, elle n’est pas malade. Oui, je continue à prendre mon traitement. » Près de 2 500 flûtes sortent du centre tous les matins.
ÉTAT DÉMISSIONNAIRE
Marine Gourvès, auteure de ce reportage, habite à Ouagadougou au Burkina Faso depuis un an. Elle y travaille pour des organisations de la société civile qui protègent et défendent les droits humains.
Les traitements prescrits aux patients coûtent cher, entre 30 000 et 40 000 francs CFA (45-60 €) par mois. C’est le centre qui les assume, une lourde charge quand on sait qu’ils doivent être pris à vie et que l’Etat n’y contribue pas. « On vit au jour le jour », soupire Grégoire Ahongbonon. Il déplore n’avoir reçu aucune aide publique, qu’elle soit financière ou matérielle. Pour l’heure, les centres Saint Camille tournent avec les moyens du bord. Malgré tout, les avancées qu’ils ont permises sont inestimables. Depuis son ouverture en 2004, 12 059 patients sont passés par le centre d’Avrankou. Quand on demande à Léonie comment sa famille la perçoit aujourd’hui, elle répond simplement qu’elle est considérée comme une personne normale. « Les gens ne savent pas, ils ne peuvent pas voir. J’ai appris la couture et je sais que je suis guérie. » Léonie rentrera bientôt chez elle, prête à exercer un métier et à reprendre une vie normale, au terme d’une expérience douloureuse et difficile.
ÉCRIT PAR : Marine Gourvès
http://www.altermondes.org/malades-mentaux-au-benin-les-derniers-oublies/
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