Un film de Ethan et Joel Coen (2013 - USA) avec Oscar Isaac, Justin Timberlake, Carey Mulligan, John Goodman
Les illusions perdues...
L'histoire : Années 60. Llewyn est chanteur folk et tente désespérément de se faire un nom. Fauché, il habite chez les uns chez les autres, hante les bureaux d'agents, les petites salles où il se produit, les grandes où il aimerait tant qu'on lui fasse une place... Histoire d'un rêve qui n'aboutit pas...
Mon avis : Je crois me souvenir que ce film des Coen avait eu un gros succès, pourtant j'avoue avoir été un peu déçue. Non pas sur la réalisation, parfaite, ni sur les acteurs, géniaux, ni sur le scénario (chronique douce amère, très juste et touchante)... mais j'ai trouvé que ça manquait un peu de peps, un peu d'humour. Il y en a, certes, beaucoup de petits gags très fins et des personnages secondaires savoureux, extrêmement furtifs hélas. Il ressort une impression de monotonie et de mélancolie, qui était peut-être le but des Coen, mais qui ne m'a pas enthousiasmée.
Le personnage est terriblement attachant... et courageux. Constamment dévalorisé par son entourage, il continue de croire à son rêve, fait tout ce qu'il peut pour l'obtenir, pour constater que l'American Dream n'est qu'un leurre. Non, le talent ne suffit pas ; non, si on veut quelque chose très fort on ne l'obtient pas forcément... Constat amer mais ô combien réaliste ! Enfin des Américains qui osent le dire, qui filment un loser, et avec tendresse ! En ça, le film est une bénédiction. A force de faire croire à nos gamins qu'ils seront tous des stars, on en fait des personnes aigries, violentes, revanchardes, névrosées... Moi j'aime les losers. Il est des losers magnifiques, des gens talentueux à qui il a manqué juste une pointe de chance, un hasard, une coïncidence (pourquoi Bob Dylan et pas Llewyn ?) et je les trouve tellement plus courageux et intéressants que ceux qui naissent avec une ambition à rayer le parquet, les relations qu'il faut ou juste une chance insolente (oui, ça existe).
J'aurais aimé que l'histoire du chat se poursuive, or on le perd à mi-parcours, et c'était un personnage à lui tout seul ! Excellent comédien du reste. C'était une merveilleuse idée, ce chat, très élégamment filmé, qui squatte les bras de Llewyn sans broncher. Il était en train de devenir son seul et véritable ami et c'était génial. La scène où il le laisse finalement dans la voiture est formidable : ils se regardent, Llewyn hésite, peut-être devrait-il l'adopter définitivement, ce petit compagnon tendre qui ne le traite pas de tous les noms ; et le chat lui aussi hésite, avance sa petite patte, puis la retire, comme s'il demandait : alors tu veux de moi ou pas ? Mais je pense que les frères Coen ont assumé ce choix pour noter la part de responsabilité de Llewyn dans ses malheures, il rate tout ce qu'il entreprend parce qu'il fait souvent de mauvais choix. Et ça, c'est un petit peu agaçant et méchant. Est-ce de la faute de quelqu'un s'il ne sait pas faire les bons choix ? Comment apprend-on à faire les bons choix ? Par quelle magie ?
La bande-son est très importante, forcément puisque notre héros est chanteur. Du folk, ce qui n'est pas mon genre préféré, mais les morceaux sont fort jolis, je l'admets, mâtinés d'une pointe de country. Très élégant., ça aussi.
Donc... tout est bien dans ce film, tout ! Mais je n'ai pas adhéré complètement. J'aurais aimé une pointe d'ironie en plus. Et puis plus de chat. Le chat n'est pas anodin, c'est un animal solitaire, à la fois doux et sauvage, mystérieux, qui suit toujours ses propres chemins de traverse... il va merveilleusement bien avec Llewyn ! Il apportait aussi l'esprit de la "nature" ; les animaux ne calculent pas, ils y a des dominants, des dominés, ceux qui mèneront une bonne vie, d'autres une épouvantable... et là seule la "chance" est à considérer. Alors que pour les hommes, on ne croit pas à ladite "chance", le leitmotiv étant : quand on veut, on peut. C'est tellement réducteur, tellement méprisant...
A savoir : le film s'inspire de la vie de Dave Van Ronk
La presse est unanime. "Une histoire que les frères Cohen, au sommet de leur élégance, ont choisi de raconter du point de vue des vaincus." (Charlie Hebdo) ; "Ce pessimisme de la seconde chance, de toutes ces opportunités gâchées et déjà enterrées, de cette incapacité à tirer quoi que ce soit de ses propres errements, font d’"Inside Llewyn Davis" un film authentiquement émouvant et profondément dépressif." (Critikat) ; "Avec ses dialogues irrésistibles et ses personnages improbables, il y a du Woodu Allen dans cette comédie douce-amère, drôle et généreuse, grave et émouvante." (Le Journal du Dimanche) ; "Moins sardoniques qu'à l'accoutumée, les cinéastes regardent ce pauvre Llewyn affronter l'adversité avec une certaine tendresse. Et signent l'un de leurs meilleurs film." (Le Point). Même Les Cahiers ont aimé, c'est vous dire. Et tout ce que j'ai pu citer ci-dessus, je l'ai ressenti, c'est vrai.
Les spectateurs ont des avis plus mitigés. Certains crient au chef d'oeuvre, d'autres sont déçus : trop sombre, trop gris, trop dépressif.
Pour moi, il y a bien du génie dans ce film, mais malgré toute la tendresse que les Coen affichent pour leur personnage, il y a cette petite touche de condescendance, très américaine, qui m'a un peu dérangée. Le loser n'est pas magnifique, il reste un loser... C'est pour ça qu'un peu d'ironie et davantage d'humour auraient évité qu'on éprouve à la fin une sorte de pitié, presque du dédain... Dommage.