Ainsi donc, l’école n’est pas toujours ce havre de paix et de calme propice à l’enseignement. Ainsi donc, il semble que l’Éducation nationale ait quelques problèmes à faire régner l’ordre et la discipline dans certains de ses établissements. Mais rassurez-vous : le problème à peine mentionné, des solutions opérationnelles efficaces se dessinent déjà.
Bon, certes, ce n’est pas la première fois qu’une école brûle, et plus particulièrement dans ce quartier sensible. Mais regardons le bon côté des choses : ce fut l’occasion pour quelques membres du gouvernement de sortir un peu prendre l’air, d’aller serrer la main de quelques personnes du peuple, de balancer quelques vérités fracassantes avant de repartir bien vite vers le prochain cocktail et le plateau suivant de petits-fours. Najat Vallaud-Belkacem, l’ancienne porte-parlote du gouvernement devenue ministre de l’Éducation Nationale sur un malentendu lors d’un jeu de chaises musicales auquel Benoît Hamon, l’éternel étudiant, perdit jadis avec le panache des cuistres, a profité de sa présence presque fortuite sur les lieux pour lancer, avec une profondeur d’analyse rarement égalée, que (je cite) :
« Les événements d’hier [lundi 20.10.14] sont des événements graves, d’une violence physique et symbolique inouïe destinée à terroriser la population. »
Pour pouvoir ainsi affirmer une chose avec tant de force, elle s’était courageusement adjoint les services de Bernie Cazeneuve, dont l’extraordinaire passage aux Affaires Européennes, puis le frémissant passage au Budget, avant son actuel poste ébouriffant à l’Intérieur, ont laissé une empreinte forte dans l’histoire de la République. Tout de go, le ministre s’est d’ailleurs exclamé, à bon droit (je cite toujours) :
« Nous sommes venus dire notre détermination à faire en sorte que le droit passe »
Il court, il court, le ministre ; le droit est passé par ici, il repassera par là, c’est lui qui vous le dit, nomého ! D’autant que le chef de la police, toujours aussi lucide, a ajouté :
« Le problème à Corbeil-Essonnes est d’abord celui du rétablissement de l’ordre public. »
Ah tiens donc ? Rejoindrait-on le constat effectué dans ces colonnes il y a quelques jours ? Il y aurait donc un petit souci de rétablissement de l’ordre public à certains endroits… Et puisqu’on parle ici d’écoles et de lieux d’éducation, allons plus loin et osons le dire : il y a peut-être un petit souci de rétablissement de l’ordre public au sein même des établissements scolaires. Oh, ce n’est pas moi qui le dis, c’est le simple constat dressé à longueur d’années par le corps enseignant lui-même dans certains lycées, dans certains collèges et – malheureusement – dans certaines écoles primaires aussi.
Pour essayer de cerner la question, pendant une semaine, France Bleu 107.1 a décidé de recenser les incidents signalés par les équipes éducatives à leur hiérarchie, de la maternelle au lycée, pour la Seine-Saint-Denis. La liste obtenue est consultable ici et il faudra probablement que le ministre de l’Intérieur la lise quelque peu, aidé par sa copine Najat du gouvernement, qui a (dit-on) une part de responsabilité dans la gestion du bousin des établissements concernés.
Cette liste établit une série de faits tous plus « croustillants » les uns que les autres et si elle ne permet sans doute pas de dresser un bilan exact et fidèle de l’enseignement en France (pour lequel on espère, ardemment, qu’il n’en va pas partout pareil), elle permet néanmoins de se rendre compte que l’égalité républicaine dont se gargarisent nos ministres et nos élus semble avoir bien du mal à passer les portes de certains établissements. À l’évidence, certains élèves sont moins bien lotis que d’autres en terme de sécurité, et, par voie de conséquence, en terme d’éducation : difficile de bien lire au tableau avec les deux yeux pochés, je présume, et déclamer distinctement du Ronsard (ou du Cortex, disons) avec des dents en moins relève parfois de la gageure, reconnaissons-le.
Ceci dit, au-delà des petits phrases outrées et politiciennes de nos ministres en pleine justification de leurs indemnités, il faut bien reconnaître que des actions, vigoureuses, sont en place pour essayer de lutter contre la violence à l’école. Par exemple, grâce à des sous-sous de la popoche du contribuable (en provenance de l’Europe notamment), des programmes à la fois pertinents, bien étudiés et joliment vitaminés sont mis en place pour sensibiliser les jeunes à la violence scolaire (sur stoplaviolence.net pour les ados et vinzetlou.net pour les plus jeunes) parce que, mes petits amis, il y a urgence à agir, fouyaya fouyaya.
On passera rapidement sur le fait que ceux qui sont les plus susceptibles de commettre ou de subir les violences en question ont une probabilité infinitésimale d’aller sur les sites correspondants ou d’en avoir quelque chose à carrer, ce qui nous évitera de nous poser la question de la pertinence réelle de tout ce fatras dégoulinant de niaiserie et d’inefficacité opérationnelle pour retenir que, ouf, quelqu’un semble avoir pris conscience que la violence scolaire, c’est mal, que ce serait assez chouette d’y mettre un terme et ce serait d’autant mieux si les autorités compétentes pouvaient prendre part à l’opération.
Et ça tombe bien.
Alors que des élèves du primaire tentent de s’énucléer à coup de Bic ou que d’autres, au collège, font vraisemblablement du trafic de sucre en poudre entre deux tournantes, l’Éducation Nationale prend le problème à bras le corps : il faut en finir avec les stéréotypes sexistes.
Eh oui.
Autrement dit et pour le poser gentiment, on se fout ouvertement de la gueule du monde avec un cynisme et un détachement que seule une parfaite stupidité doublée d’une complète déconnexion de la réalité permettent avec autant de décontraction. On se moque des élèves en s’occupant du sexisme de leurs manuels alors qu’il faudrait commencer par s’assurer qu’ils seront ouverts et un peu lus (déchiffrés, disons) au cours de l’année. On se moque des parents en leur ponctionnant les impôts correspondant à ce qu’on fait passer pour une scolarité alors que pour certains, « malchanceux », cela ressemble plus à un parcours du combattant qu’autre chose. On se moque des enseignants qui n’ont absolument pas besoin de ce genre de branlette intellectuelle périphérique, ajoutée aux kilotonnes consternantes de contraintes administratives, éducatives et organisationnelles que le ministère leur ajoute tous les ans au prétexte de réformes toutes plus idiotes les unes que les autres.
Parents, enfants, enseignants, réveillez-vous : ces élus, ces décideurs, ces responsables se payent ouvertement votre poire, avec votre argent, votre temps, votre avenir.
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