Au fil des critiques, des échanges et des vérités, notre blog s’est tailladé une petite place douillette, bien que modeste, dans la gentille jungle des blogs littéraires. Alimenté par des bénévoles et complètement sous équipé pour les joutes marketeuses, le blog est comme une vieille maison de campagne, un mauvais placement attachant. Si notre positionnement « tout pour le contenu et la franchise » a pu nous pénaliser, il nous a également permis d’échanger avec de nombreux auteurs et maisons d’éditions. Nous réfléchissons beaucoup, refusons souvent et acceptons parfois cette forme de partenariat un peu arrangée. Qu’est ce qui a donc fait que « Zora, un conte cruel » ait survécu à nos geekos-physios à lunettes ? Une promesse, rarement tenue tout d’abord. L’idée que, dans les étagères ou dans les mains d’un écrivain, existe ce fameux conte pour adultes qui nous fera nous dresser de nos fauteuils en moleskine verte. Notre poing dressé vers le ciel, les yeux plein d’espoir, nous attendrons alors avec sérénité que la station Mir daigne enfin écraser notre terre. Plus pragmatiquement, nous connaissions les Editions Equateurs pour leur « un été avec Proust », et avons été piqué par cette proposition décalée, et le sérieux du suivi de leur attaché de presse. Direction le Nooooord et ses légendes, à bord du Bdb express…
L’avis de JB :
Au croisement des genres
Comme le dit le célèbre dicton Grolandais, « dans la vie, certains vivent des contes de fées et d’autres… ». La jeune Zora est de ces malchanceuses que la vie a particulièrement peu gâtée. Car, pour celle condamnée à grandir à l’ombre des grands arbres noirs de la forêt des fredouilles, il n'est pas donné, sous la plume de notre conteur québécois, de seconde chance. Oublié des hommes et des dieux, l’auberge de l’Ours qui pète est un terrain de jeux aux allures bien macabres pour cette petite fille orpheline d’une mère qui a préféré mourir que de rester la compagne de son tenancier. Ivrognes, criminels, violeurs, tous se donnent rendez-vous au comptoir de Tero, dont les talents culinaires ont tué plus de clients qu’ils en ont rassasiés. Sauvée des griffes de son tortionnaire de père, la jeune fille devra encore combattre un mage maléfique, un esclavagiste et son plus formidable adversaire, l’amour.
Il y a, dans ce petit bout de Finlande infernale, un peu du fantasme que l’Amérique se fait de sa campagne profonde, peuplée de consanguins starisés par « Massacre à la tronçonneuse ». A l’opposé de l’entre soi bourgeois des cœurs de villes, des poches de population laissées à elles-mêmes auraient mutées en des tribus sanguinaires et criminelles. Imaginez qu’à cela, l’auteur a greffé un fond de contes et légendes nordiques mélangeant magie, créatures fantastiques et alchimiste, et vous obtenez un univers dense, singulier mais exigeant. Car il faut une sacrée poigne pour tenir ce désordre organisé, et disons-le, l’auteur a parfois eu la main un peu laxe.
Un conte adulte par son fond mais enfantin dans sa forme
De par la violence de ses propos et de ses situations, « Zora.. » s’adresse exclusivement à un public adulte. Parfois Rabelaisien dans ses descriptions et son rapport au corps et à la nourriture, il en devient presque Sadien quand l’auteur laisse éclater la furie de ses plus malfaisants personnages. Peu de détails nous sont alors épargnés. A l’opposé de cette liberté de ton, la forme de l’ouvrage est elle, très conventionnelle : Une petite fille née dans la misère et les persécutions, devenue princesse, que le destin rattrapera sur fond de Tchaïkovski et de drame amoureux. Et ce traitement de la forme, se poursuit jusqu’à des interpellations directes de l’auteur. J’ai déjà eu, je crois, sans doute, avec certitude, l’occasion de vous parler de mon désamour des auteurs interventionnistes. Rien de plus agaçant que des débuts de phrases qui commencent par « comme nous l’avons vu » ou des paragraphes vous crucifiant sur « mais nous allons bientôt en parler » ( p29, 35, 64, 97, 161, 388, 419..). Ce curieux attelage langage pour adulte – codes pour enfant, je suis passé à côté, trouvant que la vulgarité et la violence de la forme n’apportaient rien au fond.
Pour en finir avec les défauts de l’ouvrage, il y a également de nombreuses digressions et quelques longueurs, notamment dans les descriptions, qui me laissent penser que l’ouvrage aurait été plus dense sur un format de 300-350 pages.
Digestion faite, il reste, il reste à « Zora… » beaucoup d’arguments qui m’ont fait apprécier la balade. La richesse et la cohérence de son univers, la justesse de son rythme et la qualité de ses personnages. Zora et les fredouilles sont un peu fades à mon goût. Je leur ai préféré le capitaine boyaux ou Tero le prince trop charmant, plus épais jusqu’à la caricature, ou Glad l’argus le mage noir en figure crédible DU méchant. La fin est également plutôt réussie, définitive, et emportée, et l’on imagine facilement la poussière s’échappant du vieux livre de contes qui se referme.
J’ai trouvé qu’il y avait du Neil Gaiman dans « Zora… », la maturité en moins. Harmoniser fond et forme ou continuer à brouiller les codes en cherchant une difficile synthèse sera sans doute le prochain défi de l’auteur. Le mariage doit pouvoir se faire, la matière et le talent sont là.
A lire ou pas ?
OVNI identifié, ce conte made in Canada n’est certainement pas dénué de défauts, paré de ses longueurs, digressions et de l’interventionnisme trop régulier de son géniteur. Le condamner au sirop d’érable et aux plumes, serait pour autant injuste. Parce que ce qu’a réussi à faire l’auteur est en soit déjà une jolie prouesse, un succès pour lequel nous ne verdirons pas de l’appeler conteur. Comme Gaborit, Arseneault est un faiseur de monde. Et comme son alter-égo métropolitain parfois, il n’a pas su mettre en musique la très belle matière qu’il avait créée. Minoré des contre-indications « pour public averti » exposé plus haut, « Zora, un conte cruel » reste une longue balade où l’on ne trouvera peut-être pas sa princesse mais un roman plein de personnalité pour les amateurs du genre.