Le Tafta, un cadeau empoisonné pour les éleveurs ? (Photo @Thomas Louapre)
TAFTA, 5 lettres pour désigner le TransAtlantic Free Trade Area ou celui que l’on appelle aussi le PTCI, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ou encore le TTIP, Transatlantic trade and investment partnership. L’idée ? Créer une gigantesque zone de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis, un marché de 800 millions de consommateurs sur 14 millions de km2. Un territoire représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux.
Selon la Commission européenne, ce pacte pourrait créer des millions d’emplois et rapporter quelques points de croissance annuelle. « La Commission européenne s’appuie sur une étude du CEPR (Centre for Economic Policy Research), qui affiche une espérance de 0,21% de PIB d’ici 2027 dans le scénario qui semble le plus réaliste, soit 0,015% de croissance par an », précise l’économiste Aurélie Trouvé.
« Les négociations à l’OMC, qui ont été le moteur de la libéralisation du commerce notamment agricole depuis les années 90 sont actuellement bloquées, écrit Aurélie dans sa note L’accord de libre-échange transatlantique : conséquences dans nos campagnes et nos assiettes. Face à ce constat, les grandes puissances en particulier l’Union européenne et les Etats-Unis, se sont engagées dans une stratégie bilatérale et bi-régionale avec leurs partenaires commerciaux. »
Qu’est-ce que ça va changer pour nos agriculteurs ? « Sur le volet agricole, cet accord devrait permettre aux Etats-Unis d’écouler leur surproduction bovine et à la France d’exporter plus facilement son lait et ses oeufs, explique Laurent Pinatel. 300 000 tonnes de viande bovine pourraient ainsi débarquer sur le sol français dans un marché déjà encombré. Cet afflux de marchandise à bas prix entraînerait inévitablement une chute du cours du boeuf et la déstabilisation d’une filière pourtant très structurante pour nos campagnes. Rappelons que les éleveurs ovins et bovins sont déjà les agriculteurs qui ont les revenus les plus faibles.»
« On a déjà du mal à l’heure actuelle avec les viandes venues de Pologne ou d’Irlande qui n’ont pas les mêmes coûts de production, renchérit Jérémy Decerle. Et puis en France, les consommateurs ont des exigences de plus en plus fortes quant à la qualité de nos productions. Il serait mal venu que l’on accepte des produits qui ne répondent pas aux mêmes cahiers des charges, comme le poulet au chlore ou le boeuf aux hormones. »
Oui parce qu’en Amérique il faut le savoir, la volaille est désinfectée avec des solutions chlorées, les carcasses de boeuf sont traitées à l’acide lactique au sortir des abattoirs (un traitement autorisé par l’UE depuis 2013), les boeufs reçoivent une bonne dose d’hormones de croissance dans leur alimentation et les OGM sont autorisés.
« La concurrence accrue risque d’aboutir à la contraction des coûts de production, complète Aurélie, exigeant d’affaiblir les standards environnementaux, alimentaires, sociaux. Elle pourrait mener à une concentration des exploitations et une spécialisation des régions ainsi qu’une réduction des emplois agricoles. Les perspectives de promotion des circuits courts, de la relocalisation des activités agricoles et de l’agriculture paysanne seraient considérablement menacées. »
Un autre volet du Tafta fâche cette fois-ci aussi bien les agriculteurs européens qu’américains : la suppression des politiques d’encouragement d’achat de produits locaux par les écoles ou les administrations. Si le traité passe, il ne sera plus possible s’inscrire la préférence locale dans les appels d’offres publics. Le programme « Buy America » visant la relocalisation des activités économiques se trouverait ainsi caduque. Quant à la cantine de votre petit dernier alimentée par les yaourts de votre éleveur voisin, vous pouvez oublier.
On pourrait alors se féliciter de la protection des AOC, que notre champagne ne puisse s’appeler Champagne qu’à partir des vignes rémoises et non californiennes mais les associations américaines font pression de leur côté pour que cela ne puisse pas arriver…
Exclus des négociations qui devraient encore traîner quelques mois, les agriculteurs demandent aujourd’hui à être entendus. « L’alimentation doit être traitée à part, on ne va pas échanger des avions de chasse contre nos vaches, s’insurge Jérémy. Pourquoi ne pas nous concerter, on est quand même les mieux placés pour en parler. » A la Confédération paysanne, pour faire passer les idées on compte sur la mobilisation citoyenne.
Le collectif Stop Tafta compte aujourd’hui 104 groupes locaux et 106 collectivités déclarées zone hors Tafta qui, régulièrement organisent des séances d’information, font tourner des pétitions… Le 11 octobre dernier, c’était la journée européenne d’action contre le Tafta. De Madrid à La Haye, des milliers de personnes sont descendues faire entendre leurs voies dans les rues.
- La photo de Une est de @Thomas Louapre
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