C’est un cliché de presse. Les photojournalistes se massent aux abords des ministères pour les obtenir. Vite vues, vite oubliées, les photos d’actualité nourrissent notre rapport au monde contemporain. Pour chacune d’elles ramassées au débotté tout compte : l’angle de prise de vue, le cadrage, la saisie du mouvement, le décor, l’écho qu’elle génère… Réussie une photo de presse se laisse à dire plus qu’elle ne montre. Elle accrédite les commentaires et valide les analyses.
Voilà Emmanuel Macron. Il est ministre de l’économie. Il se déplace dans un couloir de Bercy, le plus récent des bâtiments ministériels, le plus contemporain de l’architecture de l’Etat. La photo a été prise le 12 septembre. Elle figure sur l’édition papier du jeudi 16 octobre du Monde. Elle a été visible sur le site du Monde.fr au même moment.
Au-delà de l’anecdote que transmet cette image, c’est la représentation de l’action de gouverner qui est questionnée. La communication est la fonction principale de l’action ministérielle. Une politique se dit avant de se réaliser. Tout commande à un ministre de privilégier les fonctions de communication. Il faut faire parler de soi, de son action, exister dans les médias et savoir se distinguer des autres. Caracoler dans l’univers vitré de Bercy et afficher une posture déterminée, c’est laisser entendre que la politique qui va suivre sera transparente, innovante et libérale. Le style Macron se construit par l’imposition d’une apparence apaisée derrière la vitre et à coups de formules mille fois entendues. Il faut, dit le ministre, « changer les mentalités », donner « un choc de confiance », s’attaquer « aux trois maladies françaises : la défiance, la complexité et le corporatisme ». L’écrivain Pierre Michon parle de « la bouillie de l’air du temps ». (La Grande Beune, p. 25, Gallimard folio). Les mots, à force d’être mâchouillés, ne portent plus que l’ombre de leur message. Ils ne font plus envie. Les journalistes disent que ça « n’imprime pas ».
Le double vitrage ministériel protège des écarts de température et des bruits que le catalogue du ministre ne manquera pas de produire. Ceux qui vont avoir le sentiment de rester sur le carreau ne seront pas les derniers à chercher à briser la glace.