C’est un cliché de presse. Les photojournalistes se massent aux abords des ministères pour les obtenir. Vite vues, vite oubliées, les photos d’actualité nourrissent notre rapport au monde contemporain. Pour chacune d’elles ramassées au débotté tout compte : l’angle de prise de vue, le cadrage, la saisie du mouvement, le décor, l’écho qu’elle génère… Réussie une photo de presse se laisse à dire plus qu’elle ne montre. Elle accrédite les commentaires et valide les analyses.
Voilà Emmanuel Macron. Il est ministre de l’économie. Il se déplace dans un couloir de Bercy, le plus récent des bâtiments ministériels, le plus contemporain de l’architecture de l’Etat. La photo a été prise le 12 septembre. Elle figure sur l’édition papier du jeudi 16 octobre du Monde. Elle a été visible sur le site du Monde.fr au même moment.
Le ministre marche dans ce qui pourrait être le hall d’entrée ou une galerie vitrée de Bercy. Tout est reflet et lumière. Emmanuel Macron avance vers le spectateur entouré de collaborateurs qui portent des dossiers. La photo, art de l’éphémère, permet toutes les exaltations : le ministre est au centre. Voilà la promesse d’un destin. Il a les mains vides ce qui lui laisse la possibilité de rajuster son costume justement pour que la photo imminente transmette du sens facilement décodable. Il porte l’économie à bout de bras, ce qui est déjà beaucoup, raison pour laquelle il est le seul de tous à être concentré. Les collaborateurs ont l’air satisfaits. Au moins, ceux dont on aperçoit le visage. Ils acquiescent aux propos de circonstance que le ministre dévoile. L’ensemble transmet l’esquisse d’une histoire dont le ministre entreprend la communication. Derrière, le ministre, une femme se laisse deviner. Il y a bien de la diversité à Bercy : sans être en miettes, le plafond de verre est néanmoins fissuré puisqu’une conseillère montre le quart de son visage derrière la silhouette du ministre. Cette petite touche de blondeur contribue à éclairer la scène dont le décor lissé, tout en verticalités argentées souligne la modernité du lieu et donc de la politique qui va nous arriver pour « libérer » l’économie. Pas de plan média sans image : celle-ci raconte la suite. Emmanuel Macron a dévoilé le 15 octobre son projet de loi « pour l’activité et l’égalité des chances économiques ». La politique-spectacle s’affine peu à peu. Désormais, c’est le spectacle qui tient lieu de politique. C’est en tant qu’acteur qu’un ministre doit s’imposer. Celui-là est entouré d’une garde rapprochée, multipliée par le jeu de reflets. La saison 1 du maître de la verrière sera bientôt en téléchargement libre. Emmanuel Macron fait corps avec le décor. L’espace vitré fait écran avec la vie des gouvernés. On se voit, on se fait signe mais l’écoute est incertaine. Elle est étouffée. Dans le transport par autocars que le ministre veut « libérer » des contraintes réglementaires, ce sont des pare-brise qui coupent les voyageurs de l’extérieur.
Au-delà de l’anecdote que transmet cette image, c’est la représentation de l’action de gouverner qui est questionnée. La communication est la fonction principale de l’action ministérielle. Une politique se dit avant de se réaliser. Tout commande à un ministre de privilégier les fonctions de communication. Il faut faire parler de soi, de son action, exister dans les médias et savoir se distinguer des autres. Caracoler dans l’univers vitré de Bercy et afficher une posture déterminée, c’est laisser entendre que la politique qui va suivre sera transparente, innovante et libérale. Le style Macron se construit par l’imposition d’une apparence apaisée derrière la vitre et à coups de formules mille fois entendues. Il faut, dit le ministre, « changer les mentalités », donner « un choc de confiance », s’attaquer « aux trois maladies françaises : la défiance, la complexité et le corporatisme ». L’écrivain Pierre Michon parle de « la bouillie de l’air du temps ». (La Grande Beune, p. 25, Gallimard folio). Les mots, à force d’être mâchouillés, ne portent plus que l’ombre de leur message. Ils ne font plus envie. Les journalistes disent que ça « n’imprime pas ».
Le double vitrage ministériel protège des écarts de température et des bruits que le catalogue du ministre ne manquera pas de produire. Ceux qui vont avoir le sentiment de rester sur le carreau ne seront pas les derniers à chercher à briser la glace.