Révélez-vous

Un livre nous marque s’il nous révèle à nous-mêmes, s’il fait affleurer à la surface de notre conscience les courants sous-marins qui brassent les profondeurs de notre être, les arcades qui le sous-tendent.

Nos lectures réalisent les potentialités que nous recélons et qui sans elles resteraient à l’état latent, retournent une à une les cartes de notre jeu, et peu à peu nous construisent : nous sommes des piles de livres. Les barbares sont ceux qui de ces piles nourrissent des brasiers. (Et avec quel sang-froid…)

Si l’art nous élève, c’est peut-être que l’expérience sensible et esthétique qu’il promet est un catalyseur de la pensée et appelle en nous une réaction. C’est un antidote à l’indifférence, partant à la cruauté qui en est la bâtarde.

De ces livres qui m’ont marqué, peut-être retiendrais-je Le Loup des steppes. Je me souviens encore du final psychédélique aux envolées libertaires, où l’on assiste tranquillement à la dislocation de l’ego du narrateur, implosant sous la pression de ses contradictions personnelles et des contraintes de la société. Jusque-là, le loup et le bourgeois s’étaient entre-dévorés en essayant de cohabiter dans le même corps (le loup griffant de l’intérieur le vernis de civilisation du bourgeois, le bourgeois étouffant les hurlements du loup). On les voit alors refoulés par la multitude d’avatars du narrateur, libérés par les visions de la drogue des constructions abstraites et trop rationnelles de l’homme-loup, qui imposaient au narrateur une tension perpétuelle entre ses deux pôles identitaires.

Et c’est une révolution, qui comme toutes les révolutions libère les passions et finit mal. Une expérience à vivre, en écoutant de préférence le premier album du Black Rebel Motorcycle Club, B.R.M.C. (pistes 6 et 7 : « As sure as the sun » et « Rifles »). Le hasard a pour moi lié les deux, le roman et l’album ; il a bien fait : ils sont désormais indissociables.