Ce qui nous intéressait, c’était de comprendre d’où vient l’arrogance américaine, pourquoi les Etats-Unis se donnent le rôle d’intervenir partout dans le monde, pourquoi les présidents Reagan, Clinton et même Obama ont affirmé que nous ne devions pas être honteux de ce que nous avons fait au Vietnam. Mais cela nous arrive de nous attarder sur des sujets nationaux. Dans le septième épisode, nous nous arrêtons sur l’affaire du Watergate, car elle ouvre une période de réformes. Mais cela n’a pas duré longtemps.
Là, on ne saura pas tout, mais l'affirmation de l'arrogance américaine est une utilité pour comprendre maintes choses !
Michel Peyret
Une autre histoire de l’Amérique
Saint-Simon, l'éditeur français du livre d'Oliver Stone, a quelque peu changé le titre original The Untold History Of The United States pour celui plus vendeur Les crimes cachés des présidents avec comme sous-titre Une autre histoire de l'Amérique et a expurgé le contenu, en réduisant les 784 pages de l'édition américaine à 276 pages.
Dans le même temps, la chaîne Planète diffuse la version française des dix épisodes du documentaire Une autre histoire de l'Amérique du même auteur.
Oliver Stone n'est pas un historien comme Howard Zinn, mais un cinéaste contestataire qui remet en cause l'histoire américaine telle qu'elle est racontée dans les livres scolaires et dans les médias dominants. Il utilise un vaste matériel (interviews, images d'archives, photographies, films, enregistrements audio, cartes, graphiques) pour remettre en question la version officielle.
« Comprendre d’où vient l’arrogance américaine »
LE MONDE TELEVISION | 14.01.2014
|Propos recueillis par Joël Morio
Partager facebook twitter google + linkedin pinteresPourquoi avez-vous décidé d’écrire et de réaliser cette « Autre histoire de l’Amérique » ? Je venais de terminer le film sur George W. Bush. Je me suis demandé si ce président était une aberration de l’histoire. Je me suis aperçu que c’était la continuation d’une situation qui durait depuis longtemps. Je voulais aussi corrigerdes choses qui nous étaient enseignées. Par exemple, dans les écoles américaines, la contribution soviétique dans la victoire contre le nazisme a été minorée. Le jour J est présenté comme le tournant de la guerre. Nous savons tous que ce n’est pas le cas.
Le documentaire mélange archives et extraits de films de cinéma. N’y a-t-il pas un risque de perte de crédibilité ?
C’est une nouvelle forme de documentaire. Cela fait partie de mon style. Ce que j’avais fait avec JFK a influencé ce choix. Cela permet aussi de garder l’attention du public pendant les cinquante-huit minutes que dure chaque épisode.
Vous faites démarrer l’histoire de l’Amérique au début de la seconde guerre mondiale. Pourquoi ?
Avec Peter Kuznick, nous devions absolument partir de cette période-là si nous ne voulions pas ennuyer les spectateurs, même si la série diffusée aux Etats-Unis comporte un épisode sur la révolution russe et un autre sur les années 1930 qui ont été réalisés après. Commencer par la seconde guerre mondiale était plus fort, car il s’agit de notre guerre, celle que nous avons gagnée. Le livre (Les Crimes cachés des présidents, une autre histoire de l’Amérique, éd. Saint-Simon) commence à la première guerre mondiale. Tout cela a été très difficile à produire. Plus de 60 % de l’argent nécessaire ont été apportés par des personnes privées. Sans compter que nous avons pris deux ans de retard, car il y a eu beaucoup de réécriture, de vérifications.
Pourquoi avez-vous privilégié une analyse de la politique étrangère des Etats-Unis et évoquez-vous assez peu l’évolution de la société américaine ?
Ce qui nous intéressait, c’était de comprendre d’où vient l’arrogance américaine, pourquoi les Etats-Unis se donnent le rôle d’intervenir partout dans le monde, pourquoi les présidents Reagan, Clinton et même Obama ont affirmé que nous ne devions pas être honteux de ce que nous avons fait au Vietnam. Mais cela nous arrive de nous attarder sur des sujets nationaux. Dans le septième épisode, nous nous arrêtons sur l’affaire du Watergate, car elle ouvre une période de réformes. Mais cela n’a pas duré longtemps.
Pour vous, l’apparition de la bombe atomique a conditionné la politique étrangère américaine, et vous jugez que c’est la menace des Etats-Unis de l’utiliser qui a provoqué le raidissement de l’URSS. N’est-ce pas caricatural ?
Non. Depuis soixante-dix ans, cela nous a permis d’imposer notre moralité sur le monde.
Pour vous, c’est la peur des Américains vis-à-vis de l’étranger qui a induit ce comportement. Comment l’expliquez-vous ?
Les Américains sont tous des émigrants qui ont fui des gouvernements corrompus en Amérique latine ou en Asie, ou l’intolérance religieuse en Europe. En arrivant dans cet immense pays, c’était un nouveau départ. Pour ces émigrés, le Vieux Monde était le diable, oppressant. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui encore, 75 % des Américains n’ont pas de passeport, ne voyagent pas.
Une autre voie, plus ouverte vers l’extérieur, était possible : celle que soutenait le populaire Henri Wallace, vice-président de Roosevelt à partirde 1941, mais qui fut écarté au profit d’Harry Truman. Pourquoi n’a-t-elle pas été suivie ?
Après avoir gagné une guerre, les vainqueurs sont plus libéraux, mais curieusement nous sommes devenus plus conservateurs. Il y avait une peur profonde dans le monde des affaires d’un retour de la récession. On estimait donc qu’il fallait garder une économie de guerre pour l’éviter.
Comment expliquez-vous qu’aucun président n’ait par la suite décidé d’emprunter cette voie ?
Dans une certaine mesure, John Kennedy l’a fait. Il avait d’ailleurs des contacts secrets avec Wallace. Mais je ne pense pas que la politique américaine puisse changer aujourd’hui. Carter a essayé de le faire au tout début de son mandat, mais il a très vite été submergé par des conseillers très conservateurs. Vous ne pouvez pas être élu si vous n’avez pas une politique étrangère dure et si vous ne faites pas de la surenchère sur la sécurité.
Joël Morio
Un regard critique sur son pays
Après avoir soulevé dans ses films (Platoon, JFK) les tapis de la démocratie américaine pour y dénicher les mensonges historiques cachés, Oliver Stone utilise aujourd’hui la télévision pour revisiter l’histoire contemporaine des Etats-Unis. En dix heures et autant de films, il livre une nouvelle vision de l’histoire de l’empire américain, des secousses de l’après-seconde guerre mondiale à l’accession de Barack Obama à la présidence, en passant par la guerre froide, la bombe atomique et la chasse aux communistes. Loin de l’American way of life qui a fait rêver le monde entier, Stone nous entraîne dans les méandres plutôt glauques du pouvoir. L’Histoire ne se répète pas, mais elle bégaye souvent. Que ce soit pour l’Allemagne après la guerre de 1939-1945, l’Asie du Sud-Est avec la guerre du Vietnam, la crise de Cuba, les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan, le réalisateur montre (avec une certaine subjectivité) le jeu trouble des affairistes qui, au détriment du bien-être des peuples, manipulent des politiciens sans grandes convictions pour sauvegarder ou faire fructifier leurs business.
LES LIVRES SCOLAIRES
Dans le préambule de sa série – coécrite avec l’historien Peter Kuznick, spécialiste de la question nucléaire –, Oliver Stone (par la voix de Philippe Torreton en VF) explique sa démarche après avoir vu « les raccourcis historiques » que les livres scolaires américains inculquaient à sa fille. Le réalisateur s’attarde par exemple longuement sur la personnalité hors pair d’Henry Wallace (1888-1965), vice-président sous le mandat de Franklin D. Roosevelt, écarté par les « faucons » du parti démocrate en raison de ses positions trop progressistes. Wallace, qui aurait sûrement changé la vision politique et stratégique de l’Amérique et la marche du monde s’il avait succédé à Roosevelt, fut évincé au profit d’Harry S. Truman. Nourrie d’images d’archives, photographies, films, enregistrements audio, cartes et graphiques, cette série historique – déjà diffusée avec succès sur la chaîne Showtime en novembre 2013 – marque un tournant dans le documentaire américain.
D.P.
« Une autre histoire de l’Amérique », sur Planète+, à partir du jeudi 16 janvier à 20h45.