En revanche, nul ne saurait tolérer qu’un individu ou un groupuscule se livre à un acte de vandalisme en détériorant ou en détruisant une création, quelle qu’elle soit. On ne peut davantage accepter, au prétexte que celle-ci viendrait à déplaire, l’agression physique de l’artiste qui en est l’auteur.
L’indignation, dans un espace démocratique, s’exprime dans les media, voire les prétoires. Les coteries intégristes et les conventicules identitaires toujours prompts à prendre pour de l’art « dégénéré » ce qui n’est pas « moralement » aseptisé, ont à leur disposition l’article 227-24 du Code pénal - contre lequel tous ceux qui se montrent favorables à la liberté de créer s’insurgent depuis son entrée en vigueur. Ce texte réprime « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine [...],soit de faire commerce d'un tel message [...], lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. »
Si les unes ou les autres, voyant dans cette sculpture gonflable « un plug anal géant » - ce qu’elle évoque en effet (mais seulement pour qui connaît ce sextoy) autant qu’un sapin stylisé, - avaient trouvé à s’en plaindre, rien ne leur interdisait d’engager une procédure judiciaire. A leur charge, toutefois, d’apporter la preuve, fort subjective, de son caractère « pornographique », tâche probablement complexe pour des plaignants bien-pensants car, comme le remarque avec justesse l’avocat bloggeur Maître Eolas, il y a quelques raisons d’être « effaré de voir la quantité de réacs autoproclamés qui savent ce que c’est qu’un plug anal » !
Le « mal » ne réside pas, en effet, dans la création d’un artiste dont le rôle est, notamment, d’interroger la société, mais dans l’œil du censeur qui, livré à ses névroses obsessionnelles, voit de la pornographie partout. Lorsque Manet exposa, au Salon de 1865, sa célèbre Olympia, il se trouva une poignée de bourgeois « respectables » pour accuser le tableau d’obscénité. Le jeune Emile Zola, dans un papier de L’Evénement, loin de partager cette indignation, fit simplement remarquer, s’adressant aux tenants l’ordre moral assidus des maisons closes, qu’Olympia avait « le grave défaut de ressembler à beaucoup de demoiselles que vous connaissez. » Ce que Louis-Ferdinand Céline résumera plus tard dans une phrase définitive : « Ce sont toujours les plus vicelards qui vous font la morale. »
Après le saccage nocturne de Tree par un groupe non identifié et l’agression dont il fut l’objet, Paul McCarthy décida, dans un souci d’apaisement, de ne pas réinstaller sa sculpture. C’est son droit de créateur. Pour autant, son intention sera forcément interprétée par les vandales et ceux qui les soutiennent comme une capitulation en rase campagne. Offrir ainsi l’apparence d’une victoire - même dénuée de toute gloire - à des groupuscules agissants mais ne représentant qu’eux-mêmes, n’est pas un bon signal pour la liberté d’expression. En 1994, lorsque la couverture du roman de Jacques Henric, Adorations perpétuelles, fit l’objet de plaintes par quelques pudibonds car elle était illustrée d’une petite reproduction de L’Origine du monde, la gérante de la librairie bisontine « Les Sandales d’Empédocle » refusa de remiser ses exemplaires ; mieux encore, elle profita de l’occasion pour consacrer une vitrine entière à Gustave Courbet. Céder aux pressions des minorités puritaines se révèle toujours une stratégie désastreuse ; l’expérience le prouve, seule vaut la résistance.
Une commande de la FIAC, l’autorisation de la Ville de Paris, du ministère de la Culture et du Comité Vendôme suffisaient à légitimer l’installation de McCarthy. Aujourd’hui, la déprédation imbécile de sa sculpture, relayée dans la presse mondiale, donne de la Capitale des Arts une image déplorable. On ose à peine redouter que cette mauvaise action restera dans les annales. Pourtant, ériger un tel objet à côté de la colonne Vendôme ne manquait pas de pertinence. Déjà, dans les années 1860, Théophile Gautier s’était attaqué, avec son talent de poète, à ce symbole hautement phallique qu’il avait alors appelé Le Godemichet de la Gloire :
Un vit, sur la place Vendôme, / Gamahuché par l’aquilon, / Décalotte son large dôme, / Ayant pour gland Napoléon. / Veuve de son fouteur, la Gloire, / La nuit, dans son con souverain, / Enfonce – tirage illusoire ! – / Ce grand godemichet d’airain...
Illustration : Paul McCarthy, Tree (photo D.R.)