Je me suis assise par terre dans le garage, entre les vélos et la poubelle, indiférente à la poussière. Ca faisait longtemps que je voulais vérifier, mais j’étais persuadée que ces boîtes avaient fini au grenier. J’avais utilisé cette idée comme prétexte pour ne pas être déçue trop vite. Puis je les ai aperçues, en rangeant mes rollers qui n’auront pas servi cet été encore.
J’ai pris la boîte rose sur mes genoux, et j’ai fait glisser la ficelle de coton bicolore sans en défaire le noeud. Ca ne me prendrait que quelques minutes, pensais-je. Dehors, les enfants crayonnaient le sol d’arcs-en-ciel à la craie, leurs rires et leurs histoires me parvenaient, tandis que je refaisais la mienne à l’envers.
Les lettres, les noms qui me sont désormais inconnus, d’autres qui me sont restés familiers ont défilé sous mes doigts. Les cartes d’anniversaire, les enveloppes rigolotes, les petits mots que mes compagnons d’infortune punaisaient sur ma porte quand ils passaient me voir sans me trouver, au temps d’avant les portables.
Passe quand tu reviens.
Salut Miss, impossible de te trouver à la maison. Passe boire un verre ce soir, ok?
Ai-je vécu cette vie-là? 1996 est si loin. De ce temps là pas de photos numériques et les visages sont flous dans ma mémoire. Anne, Kathrina, Emily, Charline, Vivien, Patrick, Scott, Hervé, Julian, Mike, Giuliano. L’auberge espagnole. Le patinage sur les canaux gelés, la bière, les nuits à danser et celles à parler, celles à se frôler et celles à reculer, la lecture sur les bancs du jardin botanique et les expos d’art contemporain, les chocolats chauds à la crème et le centième vin chaud qu’on tient entre nos gants de laine… Nos histoires qu’on croise et les rêves qu’on échafaude au petit jour. Les joues fraîches et les lèvres douces. Sur les pelouses de la piscine l’insolence de la jeunesse qui croit encore pouvoir arrêter le temps, comme si on pouvait suspendre le vol des beaux garçons qui font des concours de plongeons pour épater les filles si jolies en bas.
Un jour, quand tout cela s’est terminé, on a repris nos vies, avec chacun notre boîte à souvenirs de papier, nos adresses griffonnées au dos des notes de café.
Dans la mienne, j’ai trouvé les deux lettres de ma grand-mère que je cherchais, espérant ne pas les avoir jetées. Son écriture penchée et sans faute, ses phrases enchaînées, sans points, mais si pleine de manque et de tendresse.
Je les ai relues, j’ai souri, et puis je les ai rangées dans la boîte rose, pêle-mêle avec les souvenirs de cette année-là.
« 14.01.1997 Je n’ai pas Internet, alors je vais essayer de mettre l’adresse correcte. »
J’habitais Rue du Château des étoiles.