Thomas Delebarre est avocat général. La magistrature est une vocation dans la famille Delebarre, puisque Charles, son cadet, est procureur général. Aussi, quand Thomas Delebarre, 67 ans, est retrouvé poignardé dans sa villa de Mougins, que, sur son front, on a inscrit le mot PORC et que son ordinateur contient des photos pédopornographiques, les autorités décident un black-out.
Yann Lemadec, jeune homme bardé de diplômes en chimie et en psychologie, travaille pour la BIS, la Brigade d'Intervention Secondaire, une officine discrète aux contours aussi flous que ses missions. Par exemple, l'enquête sur la mort brutale d'un magistrat en vue... Il enquête sur l'affaire Delebarre et, avec l'aide de Lucie, une informaticienne qui pourrait être sa maman si elle n'était pas du genre solitaire, commence à se demander si tout n'aurait pas été mis en scène.
C'est alors que Yann est convoqué par la DCRI, un service qui ne devrait pas forcément être concerné par une affaire de droit commun, aussi spectaculaire et dérangeante soit-elle. En tout cas, a priori. Alors que lui veut ce "Henri de Salvindon" qui veut le rencontrer et qu'il ne connaît ni d'Eve, ni d'Adam ? En quoi cette enquête confidentielle pourrait-elle l'intéresser ?
Et là, énorme surprise, au lieu de lui demander de tout arrêter, de tout enterrer, l'homme qui dit être de la DCRI et a effectivement tout d'une barbouze, lui fournit une piste. En fait, il lui donne deux noms qui, selon lui, pourraient être liés à l'assassinat de Thomas Delebarre. Et il semble l'encourager à suivre activement cette piste.
Voilà donc Yann Lemadec muni d'un tuyau en or massif, alors qu'il n'en était qu'aux balbutiements de son enquête... Mais, qui croire ? A qui faire confiance ? Et qui sont Terence Osborne et le Professeur Alexandra Beaujeu qu'on vient de lui servir sur un plateau finement ciselé ? Le jeune homme n'a peut-être pas l'expérience d'un vieux limier, mais il n'est pas non plus complètement naïf.
Il sent bien qu'on essaye de le manipuler et ça aiguise forcément sa curiosité. Il se lance alors dans une enquête complexe, hors des sentiers battus, à la rencontre de personnages tous plus retors les uns que les autres. Pas un naïf, Yann Lemadec ? Disons qu'il n'est peut-être pas vraiment encore prêt à frayer dans ce monde étrange qu'il découvre...
Un monde où il ne sait pas vraiment ce qu'il cherche exactement, car rien ne paraît coller. Il se méfie de tout, de tous, mais il est aussi fasciné par ce qu'il voit se dessiner et plus encore par ceux qu'il rencontre. Il se prend au jeu du mystère qu'il est chargé d'éclaircir et, s'il garde à l'esprit son objectif initial, on est en droit de se demander s'il ne dérive pas dans des directions bien différentes...
Pendant ce temps, le monde s'enfonce dans la violence. Aux Etats-Unis, en Europe, en France, on tue, de sang froid, gratuitement, sans raison apparente. Le lecteur assiste à certains de ces méfaits qui pourraient être fortuits si, petit à petit, quelques éléments troublants n'apparaissaient. Mais que se passe-t-il sur notre bonne vieille Terre ?
Et puis, il y a Apollon et Artémis...
Euh, non, je ne me mets pas à yoyoter de la touffe d'un seul coup. Non, Apollon et Artémis sont des personnages du livre, enfin les avatars de personnages qui vont longtemps conserver leur anonymat aux yeux du lecteur et ne se dévoiler que tout doucement. Ces deux-là communiquent via internet et leur principal sujet de conversation semble être... la violence, oui, vous avez deviné.
Elle est au coeur de ce roman. On la vit, on en parle, on enquête dessus, on en fait même un sujet d'études. Car, au fil du livre, lors de certains passages, un certain Dr Goldberg se produit tel un acteur de stand-up ou un cadre d'Apple en plein keynote. Et il donne sa vision de la violence pour le moins iconoclaste. Peut-être dérangeante pour certains.
Quand je dis "dérangeante", c'est à plusieurs niveaux. Dérangeante sur le strict point de vue de la lecture, car ces parties sont ultra-documentées et très référencées. Ca rappelle, bien que réalisé pour des raisons très différentes, ce qu'ont fait Anthony Zucker dans "Level 26" ou Henri Loevenbrick dans "Sérum".
Autrement dit, des liens, des compléments d'informations à aller chercher ça et là sur internet. Des articles de presse sur des faits divers, des études scientifiques ou sociologiques, énormément de choses pour les amateurs de fact-checking ou pour ceux qui voudraient approfondir le débat et confronter leur opinion à ce qui est évoqué.
Le résultat, c'est une (sur)abondance de notes de bas de page qui, je le sais, en agaceront plus d'un. Mais, on peut aussi en faire abstraction, car, finalement, ces notes sont des compléments au texte lui-même. On peut parfaitement passer outre et avancer comme dans un roman classique. Andrea H. Japp, de mon point de vue, cherche à crédibiliser son propos. Mais on a en main avant tout une fiction qui peut le rester si on le désire.
Dérangeante aussi parce que, si l'on va au-delà de la fiction, c'est tout ce que raconte "Barbarie 2.0" qui pourrait remettre bien des choses en question. On n'est pas du tout dans la question du gêne du meurtrier ou de la violence, comme on en avait beaucoup entendu parler à un moment, jusque dans les discours d'hommes politiques briguant les plus hautes fonctions.
Non, c'est très différent, et c'est presque plus flippant encore. Bien sûr, je ne vais rien vous expliquer ici, mais il y a une réflexion sur une société qui engendrerait presque naturellement la violence, inconsciemment, insidieusement. Bien loin de théories sociologiques ou idéologiques (de quelque bord que ce soit, je précise).
Et puis, il y a la manière dont on appréhende cette violence. Dont on l'anticipe. Tout ce qui peut se cacher derrière ces "faits divers", expression fourre-tout et commode. "Barbarie 2.0", sous ses airs de thriller assez classique au départ, se révèle développer un argumentaire pré-apocalyptique fort intéressant car son vecteur n'est ni une catastrophe naturelle, ni un accident nucléaire, ni une guerre ou une invasion extraterrestre. Rien d'extraordinaire.
Quant au reste, ce que va mettre au jour l'enquête de Yann... Eh bien là, comme souvent, je meurs d'envie de le partager avec vous, mais je ne le peux évidemment pas. Il y aurait énormément à dire et c'est ce qui, pour moi, ouvre la porte à une suite à "Barbarie 2.0". Pour voir encore évoluer la situation qui n'en est qu'à ses prémices.
Je me rends compte que j'ai vite embrayé sur des thématiques fortes et profondes, possiblement sujettes à controverse, et que finalement, j'ai peu parlé du livre lui-même. Alors, hop, retournons à plus factuel. "Barbarie 2.0" est un roman qui, sous des allures assez classiques réserve donc bien des surprises, et pas seulement en lien avec ce qui a été dit plus haut.
Yann Lemadec est un jeune homme qui tient plus de l'antihéros que du sauveur de l'humanité. J'ai évoqué sa jeunesse, à 29 ans, avec deux cursus universitaires longs, et pardon si cela vous semble un peu caricatural, mais il ne connaît pas grand-chose à la vie. Idéaliste, certainement, mais aussi in expérimenté face à un monde qui ne fait aucun cadeau.
Il se lance dans son enquête sans a priori, sans préjuger, en essayant de prendre les événements tels qu'ils viennent et de les analyser. C'est un gentil. Euh, pas dans l'opposition au méchant d'un livre, non, c'est son caractère, c'est un vrai gentil. Un garçon bien élevé, bien poli, bien propre sur lui. N'y voyez rien de péjoratif, au contraire, c'est un simple portrait.
A ses côtés, Lucie lui apporte un soutien d'importance. Elle rappelle le personnage de Pénélope Garcia, dans la série "Esprits criminels", dans quelques années et à quelques différences près. Une analyste, infatigable et pleine de ressources dès qu'il s'agit de trouver de l'information et de permettre à Yann d'avancer.
Le tandem est assez improbable à l'époque où les thrillers reposent souvent sur des archétypes bien différents. Il y aurait quelque chose d'une relation mère-fils dans ce duo-là. Un peu excentrique, la mère, tout de même... Deux solitudes, aussi, qui se rencontrent et se complètent. S'adoucissent l'une, l'autre, rendent les existences plus supportables.
"Barbarie 2.0" a quelque chose d'un roman choral, difficile de dire que tel ou tel est le personnage central, la structure du roman rend cette dénomination imprécise voire inadéquate. Alors, oui, évidemment, Yann mène l'enquête donc on le suit plus que les autres, mais comme vous l'avez vu, l'intrigue a pas mal de ramifications et, chacun à leur manière, les différents protagonistes sont des axes du récit.
A l'image des mystérieux Apollon et Artémis qui, je dois le dire, sont un des fils qu'on suit avec attention parce qu'on ne les cerne évidemment pas tout de suite. Ces pseudonymes, ces conversations assez déroutantes, parfois, cette correspondance électronique qui semble la seule possible pour eux... Et tant d'autres zones d'ombre qui planent sur eux.
De même, plusieurs personnages secondaires, dans ce qui leur arrive ou par rapport à leurs interventions dans le récit, alimentent le mystère et donc l'envie d'en savoir plus à leur sujet. Avouez que c'est quand même pas mal pour un thriller ? Cela vaut pour le fameux Salvindon, qui convoque Yann. Mais aussi les personnages que va rencontrer Yann dans son enquête.
Et pour d'autres personnages, parfois au passage météorique, parce qu'on se dit qu'ils sont des pièces d'un puzzle, mais on ne sait pas trop dans quelle partie de l'image. Pas un coin ou un bord, non, le genre de pièce qui se place dans un ciel, par exemple... Anodine en apparence, mais sans laquelle l'image resterait incomplète.
La narration d'Andrea H. Japp est habile, elle sort des codes traditionnels du livre et nous emmène là où on ne s'attend pas du tout à aller. Inclassable, on est dans une construction bien plus complexe que le page-turner habituel. En atomisant la narration, en désarçonnant le lecteur en permanence, sans le perdre complètement, elle parvient à épaissir son énigme.
Pas de jeu de Cluedo possible pour le lecteur, autrement dit, n'entrez pas dans ce roman en cherchant qui est l'assassin, car ça ne se passe pas dans la bibliothèque et le chandelier n'est qu'un instrument parmi d'autres. C'est violent, logiquement, puisque c'est le thème central, mais la violence est aussi diffuse, jusqu'aux claques finales.
La quatrième de couverture évoque "les dérives de demain" et parle d'un roman de science-fiction ou d'une vision de la réalité (avec un point d'interrogation, je précise). Oui, il y a un peu de tout ça, en effet. Comme dit en préambule, on oscille en permanence entre des sous-genres du thriller et de la SF, liés aux science, à la technologie, au futur plus ou moins proche...
Et franchement, ça met sérieusement mal à l'aise. Et un thriller qui fait ça touche au but, non ?