d'après UN ÉCHEC de Maupassant
Quand je la vis
Sur le bateau qui me menait
De Marseille à Bastia,
Je me suis dit :
’’Ma traversée,
La voilà !’’
Je m’assis à son côté d’elle sur le pont
Et nous commençâmes à causer.
Elle était la femme d’un capitaine de dragon
En garnison à Ajaccio,
Apparemment, elle ne se réjouissait
Guère de le revoir tantôt.
Il l’avait promenée de garnisons
En garnisons,
Dans un tas de petites villes.
Maintenant, il l’appelait dans une île !
Elle aurait préféré demeurer à Lyon
D’où elle venait. À Lyon,
Elle logeait chez ses parents
Et fréquentait beaucoup d’amis charmants.
Je me suis dit :
’’ Elle ne doit pas l’aimer beaucoup, son mari !’’
Je lui demandai : -« Aimez-vous Paris ? »
-« Oh, si j’aime Paris ! »
Elle me parle de Daudet,
Zola, Sardou et Bourget…
Avec une telle frénésie que je pensai :
’’Voilà la corde qu’il faut jouer.’’
Moi, j’évoquais
Les fastes du monde parisien.
Je lui contais les histoires des jolies femmes
Et des illustres dames
Que je connaissais bien.
Ce n’étaient qu’aventures galantes,
Rendez-vous passionnés
…Et défaites cinglantes.
Je citais des anecdotes par centaines,
Des intrigues par dizaines.
Elle m’a demandé :
-« Oh ! C’est comme ça, Paris ? »
Je sapais la vertu avec ironie.
Je me moquais
Des femmes qui vieillissaient
Sans avoir savouré
Le délicieux plaisir des baisers dérobés.
Puis ce fut l’éloge discret, secret,
De l’amour brusque et caché,
De la sensation volée
Et oubliée aussitôt qu’approuvée.
Elle me dit soudain bonsoir et me serra la main.
Je savais qu’elle devait prendre le lendemain
La voiture qui va de Bastia à Ajaccio.
Alors, en homme avisé et déterminé,
J’ai réservé pour moi seul, le matin très tôt
Toutes les places à louer dans ce coupé. !
Quand je m’apprêtais à y monter
Le conducteur m’a demandé
À brûle-pourpoint
Si je consentais à céder un coin
À la femme d’un officier…-« Oui, bien sûr.»
Elle arriva, s’excusa,
Me remercia et s’installa.
Et nous voici en tête à tête dans la voiture.
J’ai de nouveau parlé de Paris.
Mais mes histoires devenaient hardies,
Astucieusement décolletées,
Pleines de mots perfides et voilés.
Puis j’ai avancé mon pied
Qui rencontra le sien.
Elle n’a point bougé.
Alors, j’ai osé avancer
Mes doigts sur son poignet.
Elle ne les a pas retirés.
Puis j’ai senti son cœur battre contre mon corps.
Oh ! Qu’il battait vite et fort !
Dans son cou, j’ai déposé un léger baiser
Et là, je reçus deux soufflets.
Elle parut aussitôt désolée.
(J’aurais voulu la consoler !)
C’est fort bête, ces situations-là !
Mais elle changea de sujet et balbutia :
-« Serons-nous arrivés bientôt ? »
-« Oui, madame, très bientôt. »
-« Je voudrais être arrivée. »
Le son de sa voix était un peu troublé,
Son allure, un peu gênée.
Son œil fuyait.
À notre arrivée,
Un officier, grand et fort, l’attendait.
Ma voisine sauta dans ses bras
Et dix fois l’embrassa.
J’allais discrètement me retirer
Quand elle s’est écriée :
-« Vous partez, monsieur,
Sans me dire adieu ? »
-« Madame, je vous laissais à votre joie. »
Alors elle s’adressa à son mari :
-« Remercie monsieur, chéri ;
Il a été, du départ jusqu’ici,
Tout à fait charmant pour moi.
Il m’a même offert une place
Dans le coupé qu’il avait réservé pour lui. »
Et elle me jeta à la face :
-« En voyage, on est heureux
De rencontrer des compagnons
Aussi aimables et bons
Que vous, monsieur. »
Le mari me serra la main
En me remerciant bien.