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une occasion ratée

Publié le 21 octobre 2014 par Dubruel

d'après UN ÉCHEC de Maupassant

Quand je la vis

Sur le bateau qui me menait

De Marseille à Bastia,

Je me suis dit :

’’Ma traversée,

La voilà !’’

Je m’assis à son côté d’elle sur le pont

Et nous commençâmes à causer.

Elle était la femme d’un capitaine de dragon

En garnison à Ajaccio,

Apparemment, elle ne se réjouissait

Guère de le revoir tantôt.

Il l’avait promenée de garnisons

En garnisons,

Dans un tas de petites villes.

Maintenant, il l’appelait dans une île !

Elle aurait préféré demeurer à Lyon

D’où elle venait. À Lyon,

Elle logeait chez ses parents

Et fréquentait beaucoup d’amis charmants.

Je me suis dit :

’’ Elle ne doit pas l’aimer beaucoup, son mari !’’

Je lui demandai : -« Aimez-vous Paris ? »

-« Oh, si j’aime Paris ! »

Elle me parle de Daudet,

Zola, Sardou et Bourget…

Avec une telle frénésie que je pensai :

’’Voilà la corde qu’il faut jouer.’’

Moi, j’évoquais

Les fastes du monde parisien.

Je lui contais les histoires des jolies femmes

Et des illustres dames

Que je connaissais bien.

Ce n’étaient qu’aventures galantes,

Rendez-vous passionnés

…Et défaites cinglantes.

Je citais des anecdotes par centaines,

Des intrigues par dizaines.

Elle m’a demandé :

-« Oh ! C’est comme ça, Paris ? »

Je sapais la vertu avec ironie.

Je me moquais

Des femmes qui vieillissaient

Sans avoir savouré

Le délicieux plaisir des baisers dérobés.

Puis ce fut l’éloge discret, secret,

De l’amour brusque et caché,

De la sensation volée

Et oubliée aussitôt qu’approuvée.

Elle me dit soudain bonsoir et me serra la main.

Je savais qu’elle devait prendre le lendemain

La voiture qui va de Bastia à Ajaccio.

Alors, en homme avisé et déterminé,

J’ai réservé pour moi seul, le matin très tôt

Toutes les places à louer dans ce coupé. !

Quand je m’apprêtais à y monter

Le conducteur m’a demandé

À brûle-pourpoint

Si je consentais à céder un coin

À la femme d’un officier…-« Oui, bien sûr.»

Elle arriva, s’excusa,

Me remercia et s’installa.

Et nous voici en tête à tête dans la voiture.

J’ai de nouveau parlé de Paris.

Mais mes histoires devenaient hardies,

Astucieusement décolletées,

Pleines de mots perfides et voilés.

Puis j’ai avancé mon pied

Qui rencontra le sien.

Elle n’a point bougé.

Alors, j’ai osé avancer

Mes doigts sur son poignet.

Elle ne les a pas retirés.

Puis j’ai senti son cœur battre contre mon corps.

Oh ! Qu’il battait vite et fort !

Dans son cou, j’ai déposé un léger baiser

Et là, je reçus deux soufflets.

Elle parut aussitôt désolée.

(J’aurais voulu la consoler !)

C’est fort bête, ces situations-là !

Mais elle changea de sujet et balbutia :

-« Serons-nous arrivés bientôt ? »

-« Oui, madame, très bientôt. »

-« Je voudrais être arrivée. »

Le son de sa voix était un peu troublé,

Son allure, un peu gênée.

Son œil fuyait.

À notre arrivée,

Un officier, grand et fort, l’attendait.

Ma voisine sauta dans ses bras

Et dix fois l’embrassa.

J’allais discrètement me retirer

Quand elle s’est écriée :

-« Vous partez, monsieur,

Sans me dire adieu ? »

-« Madame, je vous laissais à votre joie. »

Alors elle s’adressa à son mari :

-« Remercie monsieur, chéri ;

Il a été, du départ jusqu’ici,

Tout à fait charmant pour moi.

Il m’a même offert une place

Dans le coupé qu’il avait réservé pour lui. »

Et elle me jeta à la face :

-« En voyage, on est heureux

De rencontrer des compagnons

Aussi aimables et bons

Que vous, monsieur. »

Le mari me serra la main

En me remerciant bien.


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