Peut-être mon Coen préféré, en tant qu’exercice brillant et désabusé sur la fatalité et la violence des hommes.
Javier Bardem (Chigurh) est tout simplement monstrueux, l'incarnation idéale de la mort en marche, la mort dans ce qu'elle a de plus implacable et insensé - malgré sa propre, et froide, logique. Il avance dans le film comme un général romain en terrain conquis, posément, mécaniquement, ne dévoilant rien de possibles conflits intérieurs écrasés sous le poids d’une effrayante rigueur et de principes déments. Il sème la mort lorsqu’il l’estime nécessaire et ne s’embarrasse d’aucune forme de sentimentalisme : ses armes sont à son image, décalées, efficaces et spectaculaires dans leur simplicité. On ne saura pas grand-chose de lui malgré les péroraisons d’un Wells (Woody Harrelson dans un numéro hallucinant d’autodérision) obnubilé par le challenge et par sa propre personne, qui malgré ses indiscutables performances ne joue décidément pas sur le même registre. On tombera sans doute, en revanche, sous le charme rustre d’un Llewelyn âpre et têtu, dont la simplicité alliée à un vrai sens du terrain ne peuvent que fasciner : son opiniâtreté et surtout son opportunisme l’entraîneront certes dans une spirale infernale dont il accepte les enjeux, mais il force l’admiration par sa volonté à refuser l’inéluctable ; car, derrière lui, c’est une horde de loups affamés et vindicatifs qui sont à sa recherche, non seulement pour les millions de dollars, mais également pour effacer toute trace d’un échec retentissant dans une transaction douteuse – et par souci de restaurer une image forcément écornée par la faute d’un cul-terreux inattendu. Si encore il n’y avait que les Mexicains et les forces de l’ordre ! Mais ce Chigurh, c’est autre chose.
Et alors qu'on croyait assister à une haletante course-poursuite entre trois gars sévèrement burnés et pleins de ressources, on se retrouve face à la chronique amère d'une société qui échappe à tout contrôle, sous les yeux d'un sheriff (épatant Tommy Lee Jones) complètement dépassé mais terriblement lucide. Celui-ci apparaît par instants, promenant son apparente désinvolture devant les élucubrations d’un assistant aussi dévoué que naïf, mais encaissant de plus en plus douloureusement les révélations sur cette affaire tordue qui génère un nombre de macchabées grandissant sur sa juridiction. Ne reste alors qu’à protéger ce Llewelyn, contre son gré si besoin est, car se doute-t-il de ce qu’il devra affronter ?
L’aridité monumentale de ces paysages désertiques est un cadre aussi connu pour sa sauvage beauté que pour les drames qui s’y sont déroulés : pourtant, malgré un rythme propre aux films noirs, des séquences vraiment sanglantes et d’autres assez haletantes, c’est davantage un film d’atmosphère qu’un thriller bourré d’action et de testostérone, doublé d’une réflexion cynique qui s’accorde parfaitement avec sa résolution de l’intrigue : celle-ci, déroutante, casse le tempo et replace le scénario dans cette distanciation qui le distingue du tout-venant.
On le comparera aisément à Fargo des mêmes réalisateurs par ce souci du détail, ces
A consommer sans modération.
Titre original
No country for old men
Réalisation
Joel & Ethan Coen
Date de sortie
23 janvier 2008 avec Paramount
Scénario
Joel & Ethan Coen d'après le roman de Cormac McCarthy
Distribution
Javier Bardem, Josh Brolin, Woody Harrelson & Tommy Lee Jones
Photographie
Roger Deakins
Musique
Carte Burwell
Support & durée
Blu-ray Miramax (2008) zone A en 2.35:1 / 122 min
Synopsis:Au Texas, Llewelyn Moss, chassant près du Rio Grande, tombe sur des cadavres et plus de 2 millions de dollars. Le chasseur devient rapidement le chassé ! En effet, Wells, un ancien agent des forces spéciales au service d'un puissant cartel, et Chigurh, un tueur psychopathe, sont à ses trousses. Ce ne seront pas les seuls...