Claude Ollier semble en être à sa deuxième carrière. La première aurait été celle qu’il a faite, dans les années 50 et 60, en compagnie du Nouveau roman. Puis sa voix s’est individualisée, et dans une œuvre qui s’amplifie maintenant et semble occuper une nouvelle place. Non seulement je n’ai pas deux carrières, mais je n’en ai aucune. Je n’ai jamais fait carrière. J’écris des livres pour moi. S’ils sont édités, je suis content, s’ils ont quelques lecteurs, je suis très content. S’ils n’ont pas du tout de lecteurs, tant pis, s’ils ne sont pas édités, tant pis. Ça ne m’empêchera pas d’écrire. C’est totalement en dehors de ce qu’on peut appeler une carrière. C’est une pratique personnelle, c’est un désir personnel, c’est entre moi et moi. A défaut de carrière, peut-on parler de projet romanesque ? Il fut un temps où vos livres constituaient un réseau… Oui, pendant vingt ans, j’ai écrit des livres qui formaient une suite. J’ai achevé ce cycle il y a quinze ans. Depuis, j’ai écrit quelques livres qui ont des points communs, des préoccupations, des interrogations communes mais ne forment pas une suite comme les huit premiers. Cela dit, je n’ai jamais écrit de romans. J’écris contre le roman. Le roman est caduc, pour moi, depuis 1945. Pour des raisons historiques ? Oui, pour des raisons historiques. Le romanesque est lié à un certain état de la société européenne, un accord entre une certaine façon d’écrire et un très large public. A mon avis, tout cela a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. On peut continuer, on peut écrire des romans pendant des siècles, je n’ai rien contre. Mais, pour moi, ça n’a plus aucun sens. J’ai écrit des livres qui sont… je ne sais pas comment les qualifier. Ils sont entre le documentaire, comme par exemple mon livre sur Marrakech, et le conte philosophique ou le conte fantastique, il y a un peu de tout. Je n’ai jamais écrit de roman, par conséquent, je n’ai jamais écrit de Nouveau roman ! Le Nouveau roman vous intéressait malgré tout ? Oui, mais ses théoriciens en ont rétréci les limites. C’est devenu tout de suite une routine un peu maniériste, un peu académique. Pensez-vous, malgré ce que vous disiez, que vos livres peuvent intéresser les lecteurs ? Déconnection va les intéresser parce qu’ils sont dans le même bain que moi. Ils ont cru que le grand élan des années 40, 50, 60, se prolongerait. Et, depuis vingt ans, ils sont consternés. Mais je ne pense pas que ce que j’écris puisse avoir un grand retentissement puisque, par principe, des livres comme les miens ne passent pas dans les grands médias. Ils ne sont pas censurés au sens stalinien du terme, mais ils sont évincés. A priori, on ne les aime pas. On les écarte parce qu’ils ne font pas 200.000 lecteurs. Il y a deux choses qui m’importent : écrire des livres qui tiennent debout tout seuls, indépendamment de toute espèce de bruit qu’on pourrait faire autour, et être respecté comme écrivain. Dès qu’on entre dans le cirque médiatique, on ne peut plus être respecté comme écrivain !
Missing (1998)