d'après FINI de Maupassant
On venait d’apporter une lettre
Au comte Julien de Maîstre.
’’ Mon cher ami,
Quand je vous ai dit adieu, je quittais Paris
Pour suivre, en province, mon mari.
Le baron de Valmore, mon vieux mari.
Vous m’avez oubliée sûrement
Car nous ne nous sommes pas revus
Depuis vingt-cinq ans.
Et je ne vous ai pas écrit non plus.
Mon mari est mort, voici cinq ans.
Et je reviens à Paris pour marier ma fille.
C’est un grand évènement.
Elle a dix-neuf ans, ma fille.
Si vous vous rappelez encore
De moi, votre jeune Isabelle,
Venez diner ce soir avec elle.
La vieille baronne de Valmore,
Votre fidèle amie,
Un peu émue et contente aussi
Vous tendra la main,
Mon cher Julien,
Une main qu’il faudra serrer
Et non plus baiser.’’
Oui, Julien de Maîstre l’avait aimée
Et avait été aimé.
Quel charmant amour
Ce fut ! Délicat mais si court,
Trop vite fini,
Coupé net par son baron de mari
Qui l’avait enlevée
Et qui ne l’avait jamais plus montrée.
Toute la journée, Julien pensa à elle !
Comment était-elle ?
Se retrouver après vingt-cinq ans !
La reconnaitrait-il seulement ?
À huit heures, quand il est entré
Dans le salon d’Isabelle, il vit
Posé sur la commode le portrait
De sa vieille amie, un cliché jauni
Joliment encadré d’argent,
Datant de ses jours triomphants.
Julien s’assit et attendit.
Une porte s’ouvrit derrière lui ;
Il se dressa brusquement
Et, se retournant,
Aperçut une dame aux cheveux blancs
Qui lui tendait les deux mains en tremblant.
Il se leva, les saisit,
Les baisa l’une après l’autre, longuement.
Puis se relevant,
Il regarda son amie.
Elle avait envie de pleurer
Mais cependant souriait.
Il murmura : -« C’est vous, Isa ? »
-« Oui, c’est moi.
C’est bien moi.
Vous ne me reconnaissez pas ?
J’ai eu tant de chagrin…
Tant de chagrin.
Asseyez-vous, nous allons causer
Puis j’appellerai ma fille,
Ma grande fille
Qui va se marier. Vous verrez.
Elle est toute pareille à moi… autrefois. »
De quoi pouvaient-ils parler ?
De l’autrefois ?
Comme ils demeuraient troublés, gênés,
Elle appela : -« Renée ! »
-« Oui, maman, j’arrive, me voici ! »
Se tournant vers la baronne, Julien lui dit :
-« Oh ! C’est vous, tout à fait !... »
C’était elle en effet,
L’Isabelle disparue
…Et revenue !
Il la retrouvait
Telle qu’on la lui avait enlevée
Il y a vingt-cinq ans.
Renée était plus fraîche, plus enfant.
Il avait une envie folle d’ouvrir ses bras
Et de lui dire ’’ Bonjour, Isa ! ’’
Quand un domestique vint annoncer :
-« Madame est servie ! »
Ils entrèrent dans la salle à manger.
En les regardant,
Julien eut une pensée qui touchait à la folie,
Une idée malade de dément :
’’ Laquelle est la vraie ? ’’
La mère souriait :
-« Vous en souvient-il ? »
Et dans les yeux clairs de la jeune fille
Julien retrouvait ses souvenirs.
Il voulut ouvrir la bouche pour lui dire :
’’ Vous rappelez-vous, Isa…? ’’, en oubliant
La baronne aux cheveux blancs
Qui l’observait d’un œil attendri.
Julien dut faire maints efforts d’esprit
Pour effacer de sa pensée
Ce qu’avait perdu la ressuscitée
Et se souvenir de sa jeune amie.
La baronne interrompit
Sa réflexion quand elle lui dit : -« Julien,
Vous avez, semble-t-il, perdu votre entrain. »
-« Il y a bien d’autres choses que j’ai perdues ! »
Julien ressentait en lui son amour ancien
Comme une bête qui l’aurait mordu.
La jeune fille bavardait
Et parfois, des intonations retrouvées,
Des mots familiers à sa mère,
Toute une manière
De dire et de penser,
Et bien sûr, la ressemblance, secouaient
Julien de la tête aux pieds.
Dans sa passion rouverte, tout lui faisait plaie.
C’est d’Isabelle cependant
Que Julien souhaitait redevenir l’amant.
Le souvenir lui brisant le cœur,
Il se sauva de bonne heure.
Rentré chez lui,
Il se regarda
Dans la glace, de haut en bas
Et vit un homme à cheveux gris.
Accablé, il s’assit
Et murmura : ’’ Oui Julien, c’est fini ! ’’