L’immortalité est souvent le propre des marques plus que centenaires, une survie qui ne les empêche pas de dégringoler parfois de leur Olympe. Chanel ne démérite pas, portée par son histoire réinventée grâce à une stratégie marketing produits et image tirée au cordeau et un Lagerfeld lui-même impérissable dont la vaillance en étonne plus d’un. Ce qui n’empêche pas des ratés. Comme le célèbre N°5, toujours en tête des ventes dans le monde mais en recul aux Etats-Unis et en France, deux pays majeurs pour fanfaronner dans le domaine des fragrances : les Américaines et les Françaises étant des marqueurs à ne pas ignorer tant elles balisent les sillages parfumés de la planète. Donc le N°5 n’est plus dans le… Top 5 ! Détrôné par d’autres valeurs sûres anciennes comme J’Adore de Dior ou Angel de Thierry Mugler, et des nouveaux offensifs à l’instar de Le vie est Belle de Lancôme ou La Petite Robe Noire de Guerlain, deux ovnis qui redessinent la carte du monde parfumé…
La chute de Chanel n’est pas dans la teneur du jus, toujours universel et dans l’air du temps, mais le résultat de la très insolite campagne de publicité où Brat Pitt, acteur sexuel et animal (pléonasme ?) incarnait un faux poète crapoteux déclamant un texte insipide au lyrisme grunge à une femme inconnue. Le tout dans un décor nu, une image en noir & blanc d’une pâleur crasse et un héros mal coiffé habillé comme un nettoyeur de piscine dans une province désargenté. Bref, à mille années lumières de l’astre N°5 qui nous avait habitué à un lyrisme autrement plus spectaculaire. Conséquence, une culbute des ventes. Dans le secteur des parfums, l’alchimie pour percer et durer est assez basique : il faut un jus calibré pour l’universalité olfactive, un nom qui « tape » sans choquer, et une campagne marketing-communication narrative et généreuse (comprenez qu’il faut un budget lourd, très lourd).
Et dans le cas du N°5, ce n’était pas une question d’argent — Chanel n’en manque pas —, mais de narration. Exit donc le misérabilisme Brat Bittien, retour au glamour mannequin. La Maison de la rue Cambon a engagé Gisèle Bündchen qui tricote son amour coupable avec Michel Huisman (héros de Game of Thrones) dans un film à 12 millions d’euros (dont 4,5 pour le cachet du top model) réalisé par le cinéaste australien Baz Luhrmann (Moulin Rouge, Gatsby) qui avait déjà réalisé le film publicitaire du N°5 avec Nicole Kidman, soit dit en passant : c’est dans les vieux pots... Ajoutez au bas mot 80 à 100 millions d’euros pour le plan média et vous avez une campagne de reconquête pour un parfum qui pèse quelques centaines de millions d’euros de ventes chaque année, autant dire une fantastique vache à lait.
Cette nouvelle bluette publicitaire chic et chère suffira-t-elle à rendre au N°5 sa place contestée de leader ? A suivre, une chose est certaine, chez Chanel, on ne badine pas avec l’amour de l’argent…
© Chanel