Vaincre ebola

Publié le 20 octobre 2014 par Dominique Le Houézec

Je ne lis pas dans le marc de café mais je suis persuadé que l'infection à virus Ebola sera stoppée. Je pense que dans quelques semaines ou mois, on n'en parlera plus ou beaucoup moins. Je pense que dans quelques mois ou dans quelques années, il y aura un vaccin. J'imagine qu'il sera utilisé de façon imparfaite, mais qu'il contribuera un peu à maîtriser la maladie





Je crois que cette infection aurait pu être plus aisément contenue si nous avions tous une meilleure connaissance des maladies infectieuses.
Si un individu porteur du virus EBOLA arrive en Europe ou aux USA, il est souhaitable qu'il soit rapidement repéré et isolé. Il est souhaitable que tous ceux qui ont été en contact avec lui soient surveillés, au besoin isolés, et qu'ils se prêtent à cette surveillance: qu'ils soient non seulement consentants mais demandeurs.
Il est par ailleurs surtout souhaitable que le virus EBOLA soit combattu là où il se manifeste et là où il tue. Pour cela, il faudrait (il aurait fallu) qu'il y ait des professionnels de santé bien formés, en nombre suffisant, et que la population ait confiance dans ces professionnels, qu'elle soit non seulement d'accord avec ce qui lui est proposé, mais qu'elle en soit demandeuse.
Ce qui est commun à la lutte contre le virus EBOLA en Afrique d'une part et en Europe et aux USA d'autre part, c'est l'importance de la détection des cas, de l'isolement des cas avérés et de la surveillance des contacts.

Je voudrais tout d'abord montrer que nous sommes tous trés mal informés, trés peu sensibilisés à l'extrême importance de cet aspect de la lutte anti-infectieuse, puis essayer de comprendre pourquoi nous sommes peu informés et peu sensibilisés. La complexité du sujet, le nombre de facteurs en cause, les interelations entre facteurs, le poids du passé et des erreurs du passé, sont tels qu'il est impossible d'être  exhaustif. Je  me contenterai de suggérer des pistes:

1. Chaque fois que l'on parle du contrôle et de l'éradication d'une maladie, on pense aussitôt au vaccin.

2. Lorsqu'une maladie est trés grave, on trouve qu'elle est TROP fréquente et TROP contagieuse (ce qui est vrai) et on dit qu'elle est TRES contagieuse (ce qui n'est pas  forcément vrai et qui notamment dans le cas d'EBOLA est faux).

3. Lorsqu'une maladie est extrêmemnt contagieuse, comme la rougeole ou la varicelle, il est illusoire de vouloir endiguer une épidémie par la détection et l'isolement des cas. Lorsqu'une maladie est moins contagieuse ou peu contagieuse, la détection-isolement a une efficacité considérable.
L'EBOLA n'est pas trés contagieux, de même que la variole n'était pas trés contagieuse, non plus que la SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère dû à un coronavirus). Il faudrait que tout le  monde le sâche. Le SRAS a été sous contrôle en quelques mois, quand on a isolé les malades, la  variole a été vaincue en quelques mois lorsqu'on est passé, en 1967, de la stratégie de vaccination universelle à celle de vaccination en anneaux ou "ring vaccination" (détection- isolement des cas et vaccination dans l'entourage).
Un élément essentiel de la lutte contre la variole a été la participation active de la population au repérage et au signalement des cas. Ces faits sont trés peu connus et surtout, ils ne sont pas utilisés pour sensibiliser les étudiants en médecine, les médecins et la population à comprendre  la  trés grande importance de l'isolement. Et l'importance qu'il y a, chaque fois que cela est possible, à obtenir la participation active des populations concernées.
J'ai écrit ailleurs combien on trouve d'énormités et de contrevérités dans de nombreux livres trés diffusés en milieu médical (Pilly maladies infectieuses, dictionnaire Garnier-Delamare) ou dans l'Encyclopedia  universalis, et combien cette ignorance est en lien dialectique avec la volonté de réver d'un monde débarassé des infections par la vaccination de tous contre  tout.



L'un des facteurs liés à cette méconnaissance de l'importance des mesures d'hygiène est la  médiocrité du débat sur les vaccinations. Ce débat est polarisé entre ceux qui pensent que les vaccins c'est bien, c'est trés bien et qu'ils sont la solution (actuelle ou future ) à tout et ceux qui considérent que les vaccins sont une horreur  innommable. Ces derniers, par leurs excès et leurs outrances, rendent supportables les excès des premiers. Les antivaccinalistes primaires rendant tolérables les excès et l'irresponsabilité des provaccinalistes.

Il existe bien d'autres facteurs: perception de l'isolement comme une technique ancienne, à la limite ringarde, et des vaccins comme modernes et progressant toujours. L'isolement a été pratiqué de façon violente inhumaine pendant des décennies à l'égard de lépreux trés peu contagieux. Au contraire, les vaccins paraissent comme des techniques liées à la science et progressant avec elle. Ils se proposent de protéger chaque individu dans un monde ayant perdu en grande partie le sens du collectif.
Mais je voudrais insister sur un  élément majeur de la "culture de  l'isolement" et de la prudence et du souci pour l'autre.


Supposons qu'un médecin en France soigne un individu dont on découvre quelques jours plus tard qu'il était atteint par le virus EBOLA. Le médecin est comme tout individu: il souhaite ne pas tomber malade, il désire ne pas tomber malade. S'il présente des troubles, il peut consulter immédiatement comme on le lui recommande. Il peut se comporter de façon rationnelle. Mais il peut aussi souhaiter ne  pas  y croire et perdre du temps.

Supposons qu'une personne en Sierra Leone ou dans un autre lieu où sévit l'EBOLA ait prévu depuis des mois un voyage à Paris. Supposons qu'elle ait été en contact sans le savoir avec un malade, la prudence et l'intérêt de la collectivité serait qu'elle reporte son voyage. Mais supposons qu'elle sache qu'elle a été en contact avec un malade, l'annulation de son voyage signifierait que cette personne est pleinement consciente qu'elle risque de faire une maladie grave fréquemment mortelle. Reporter son voyage, consulter au moindre doute et rapidement sont des attitudes rationnelles qui nécessitent aussi et peut-être surtout d'avoir le désir de ne pas contaminer les autres.

Il y a eu, et notamment en ce qui concerne le SIDA, des malades qui ont volontairement contaminé d'autres personnes. Ce sont des cas trés rares et peut- être même trés exceptionnels. Mais cela nous rappelle que l'être humain n'est pas toujours gentil, rationnel, informé, soucieux de l'intérêt de tous et compliant.

Si nous voulons vaincre l'EBOLA comme d'autres maladies infectieuses, il faut faire avec ce que sont les hommes, avec ce que sont les médecins et les systèmes de santé. Réfléchir sur ce que nous faisons, réfléchir sur ce que nous avons fait. Il faut réfléchir sur ce qu'est l'enseignement actuel de la médecine, sur ce que savent les collégiens et les  lycéens. Il faut lire de façon critique la presse et réagir.

Lutter contre l'EBOLA, c'est aussi (surtout ?) lutter contre la bêtise, contre la somnolence, contre l'inculture et la diffusion de l'inculture.

Jean-Pierre LELLOUCHE