Maître anonyme, Paris, XIIIe siècle,
La Vision de saint Germain, 1245-47
Vitrail en provenance de l'abbaye de Saint-Germain des Prés,
63,8 x 40 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art
Deux ans se sont écoulés depuis le dernier enregistrement de Diabolus in Musica dont le titre Plorer gemir crier s'est révélé, après coup, prémonitoire, l'ensemble s'étant retrouvé sans label discographique — la crise et la sale réputation de n'être pas vendable que traîne le répertoire médiéval conduit hélas parfois à de bien déplorables décisions. Nouvellement accueillis par Bayard Musique, Antoine Guerber et ses chantres reviennent, avec Sanctus !, vers des terres qui leur sont non seulement familières, mais envers lesquelles le chef ne fait pas mystère de son attachement : les polyphonies de l'École de Notre-Dame.
Au début du XIIIe siècle, Paris est une cité florissante qui possède la stature d'une véritable capitale européenne dans le domaine de la pensée et des arts, une réalité symbolisée par la charte de Philippe Auguste qui, en janvier 1200, donne à la corporation de maîtres et d'élèves apparue une cinquantaine d'années auparavant un statut officiel d'université. Le chantier de la cathédrale Notre-Dame, lancé en 1163 et qui occupa l'évêque de Paris, Maurice de Sully, jusqu'à sa mort en 1196, constituait également un formidable catalyseur d'énergies et de talents, car l'édifice qui était en train de sortir de terre se devait de suivre les nouveaux canons du style que l'on nommera bien plus tard gothique, développé à Sens, en Picardie ou à la toute proche basilique Saint-Denis, dont il devait naturellement, dans l'esprit de ses commanditaires, constituer le plus beau fleuron.
Dans le même temps que maîtres d’œuvre, tailleurs de pierre, verriers et imagiers développaient une façon nouvelle de
concevoir l'espace et de représenter tant le monde physique que spirituel, un autre type d'architecture connaissait, à Paris, une profonde évolution : celle des sons. On sait, grâce au
témoignage d'un musicien connu sous le nom d'Anonyme IV qui séjournait sur les bords de la Seine vers 1275, que le style développé par les maîtres parisiens,
Sanctus ! est le troisième disque que Diabolus in Musica consacre à l'École de Notre-Dame après les très
recommandables Vox Sonora (Studio SM, 1998) et Paris expers paris (Alpha, 2006), qui révélaient les profondes affinités de l'ensemble avec ce répertoire. Il est d'ailleurs
très intéressant de mettre en perspective ce nouvel enregistrement avec ceux qui l'ont précédé, d'autant plus que l'on constate, de l'un à l'autre, une remarquable stabilité de l'effectif,
cette fidélité, si elle se paie parfois par quelques minimes usures vocales du côté des ténors, autorisant un véritable approfondissement de l'approche et de la restitution des œuvres. Ce qui
frappe dans ce Sanctus ! est justement, au-delà de la maîtrise technique évidente et du souffle qui permet à d'amples pièces comme Petre amas me, Preciosus domini
Dyonisius et le fameux Sederunt omnes (un quart d'heure à lui seul et une des très belles réussites de cette réalisation)
Voici donc un disque tout à fait réussi qui s’inscrit sans pâlir dans le sillage de ceux qui l'ont précédé et confirme, si besoin était, la validité du travail de Diabolus in Musica dans le domaine du répertoire médiéval sacré. Qu'il me soit permis, au cas où il me lirait, de formuler un vœu auprès d'Antoine Guerber, celui de le voir se pencher sur les magnifiques proses d'Adam de Saint-Victor dont il serait intéressant d'entendre sinon l'intégralité, du moins une large anthologie, ce qui permettrait, dans le même temps, d'évoquer une abbaye disparue qui fut un foyer essentiel de la pensée du Paris médiéval. Il ne fait guère de doute, à mes yeux, que sa valeureuse équipe seraient de parfais serviteurs d'un projet de cette envergure artistique et patrimoniale.
Diabolus in Musica
Raphaël Boulay & Olivier Germond, ténors
Geoffroy Buffière, Christophe Grapperon, Emmanuel Vistorsky, barytons-basses
Frédéric Bourreau & Philippe Roche, basses
Antoine Guerber, harpe, percussion & direction
Extraits proposés :
1. Léonin, Petre amas me, organum à 2
2. Anonyme, Sanctus perpetuo numine à 3
Illustration complémentaire :
Maître anonyme, Picardie, XIIIe siècle, Saint Nicolas devant le consul, c.1200-1210, vitrail en provenance de la cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais de Soissons, 54,6 x 41,3 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art