Il faut savoir se montrer patient. Comme le disait à juste titre ce
cher Neil Gaiman à un de ses lecteurs l'interpellant sur George R.R.Martin et son travail d'écriture, les auteurs ne sont pas nos
« putes » (arguments à l'appui) . Ils ne sont pas à notre disposition, ont leur
propre vie, leurs propres coups de mou et ne parviennent pas toujours au bout d'une histoire, que celle-ci s'inscrive dans un cycle ou pas.
J'ai
encore en tête le jour où j'ai découvert la couverture de la
première parution en poche du Trône de Fer. C'était
en 2001, dans une gare. Les éditions J'ai Lu venaient d'inaugurer
leur nouvelle maquette, donnant ainsi un petit coup de jeune à leur
collection SF et Fantasy. J'étais alors loin de me douter du succès
qu'allait rencontrer ce cycle, encore inachevé à ce jour. Pour moi,
il ne s'agissait alors que d'une histoire de fantasy supplémentaire
sur le tapis de l'Imaginaire.
Il faut savoir se montrer patient. Oui. Et savoir s'estimer chanceux.
Car sans la consécration du Trône de Fer, il aurait peut-être
fallu attendre bien plus longtemps avant que le premier tome de
l'anthologie Wild Cards ne soit enfin traduit, soit 27 ans après son
édition originale.
Alors avant de découvrir les 20 autres volumes – patience, un
jour, patience toujours – parus entre 1987 et 2011 – parlons plutôt de cet ouvrage d'introduction qui a pour particularité de
planter un bien beau décor.
En 1946, la Terre a l'insigne honneur de connaître sa première
rencontre du troisième type. Bonne nouvelle, le troisième type en
question est plutôt sympa – sa tenue vestimentaire laisse un peu à
désirer, peut-être, mais c'est un type sympa. D'autant plus qu'il
est venu sur Terre pour empêcher un virus concocté par les siens
de se répandre.Peine perdue. Après l'intervention désespérée de
Jetboy, le poison se propage dans les airs. Ses effets ne tardent pas
tardé à se manifester, tuant 90 % de ceux qu'il touche. Les 10 %
restants sont soit devenus des jokers, des êtres ayant connus des
mutations abominables, soit des as, des femmes et des hommes investis
de pouvoirs extraordinaires. Le monde a un nouveau visage...
Le monde a un nouveau visage mais il ne prendra pas des virages si
différents du nôtre. Malgré les particularités des
as et leurs pouvoirs, les mêmes conflits internationaux auront lieu,
les même films sortiront, Kennedy sera bien assassiné, Nixon et
Reagan feront parler d'eux. En revanche, c'est dans les interstices
que les changements s'opèrent. Dans la chasse aux sorcières
impulsée par McCarthy ne seront pas seulement visés les
communistes, les as seront mis dans le même sac. Les jokers, obligés
de se masquer pour cacher leur abomination, se seront regroupés dans
un quartier de Manhattan, baptisé Jokertown,et lutteront pour la
reconnaissance de leurs droits.
Là où il n'y aurait pu y avoir qu'un regroupement de nouvelles sans
lien aucun les unes avec les autres si ce n'est le cadre de cet
univers, George R.R. Martin a su donner à ce recueil une cohésion et une
densité incroyablement fortes. Certes les auteurs exploitent chacun
à leur manière un personnage voire plusieurs personnages clés,
explorent les potentialités d'un pouvoir ou d'une tare, mais ils le
font toujours en restant fidèle au cahier des charges de la série.
Chaque histoire, aussi prenante soit-elle, sert ainsi de trait
d'union à une autre où l'on retrouve si nécessaire un personnage
rencontré plus tôt. Grâce à cette appropriation par chacun des
auteurs de l'univers proposé, l'écueil du catalogue de dons est
évité. A défaut de briller par leur originalité (télékinésie,
passe-muraille, homme-volant, force accrue, succube...), ces
derniers sont mis au service du background et de l'histoire qu'ils
portent. Au final, la curiosité et la fascination dominent dans une
bel ensemble.
Comme pour tout premier ouvrage d'un cycle suscitant l'engouement, je
ne peux que terminer en soulignant l'impatie... non restons patient
disais-je, en soulignant l'envie évidente qui est la mienne de
découvrir la suite, apparemment prévue pour le mois de
février prochain.
Ah si, j'allais oublier et ça n'aurait pas été pardonnable, on
trouve dans Wild Cards de bien belles plumes, plus ou moins connues.
Avec dans l'ordre d'apparition : Howard Waldrop, Roger Zelazny,
Walter Jon Williams, Melinda M. Snodgrass, Michael Cassutt, David D.Levine, George R.R. Martin, Lewis Shiner, Victor Milán,
Edward Bryant, Leanne C. Harper, Stephen Leigh, Carrie Vaughn, JohnJ. Miller... Dans les prochains volumes, certains de ces auteurs
disparaîtront, d'autres feront aussi leur apparition. Pour plus
d'informations, n'allez pas à aller fureter ici.