Pourquoi ne veut-t-elle plus de sa vie, là est toute la question. Une possible réponse ; elle est en fauteuil roulant suite à un accident. « S’est-elle habituée à vivre péniblement ? » est une question importante mais ce n’est pas l’unique. Une seule réponse serait trop simple pour que cet échange de confidences chuchotées en pleine nuit remplisse 176 pages. Sa vie a été remplie ; mère de deux enfants marginaux et rebelles, un fils dont elle ne vient pas à bout, un divorce, un amant, un exil, mais surtout ce fameux accident d’une banalité sans nom, littéralement s’accrocher dans les fleurs du tapis. En résumant sa vie, je réalise que ce qui la distingue vraiment sont les conséquences de son accident qui lui a enlevé l’usage de ses jambes.
Ce qui donne la saveur à l’histoire, ce ne sont pas tant les bribes de sa vie, comme ce dialogue nocturne en sourdine. Le ton de confidence de ce tête-à-tête donne nettement l’impression au lecteur d’avoir une part active à cette préparation à la mort. Une question résonne dans la tête du lecteur, à l’unisson à celle du frère : est-elle sûre de vouloir mourir ? Il est facile de s’imaginer qu’une personne veuille tout abandonner sous un coup de tête, ou en perdant la tête sous l’effet d’alcool ou de la drogue, mais en pleine possession de ses moyens, c’est perturbant.
Elle communique posément avec son frère, s'exprime avec une grande lucidité, ce qui va raviver l'affection du frère pour elle. Il la découvre juste avant de la laisser partir. Va-t-il refuser de participer à son départ, essayer de la convaincre de continuer, lui donner des conseils ou des recommandations, de l’aide pour mieux vivre à l’avenir ? Non, pas du tout, ne pas satisfaire son ultime désir lui donnerait l’impression de ne pas suffisamment l’aimer.
Je vais tenter d’expliquer pourquoi je ne suis pas plus emballée, malgré la maîtrise du dialogue et l’ambiance rendue impeccablement. J’ai trouvé le message si gros, qu’il tire la situation et ses personnages, quand cela devrait être l’inverse. Un professeur aurait donné à ses étudiants ce devoir : démontrer que l’euthanasie est un geste propre, respectueux et nécessaire, « Extraordinaire » aurait alors obtenu une note extraordinaire. Je n’aime pas voir le message à ce point, au même titre que je n’aime pas voir les ficelles des marionnettes ou la bouche du ventriloque.
J’aurais préféré voir des élans de vie s’infiltrer pendant ce moment crucial où quelqu'un décide de quitter la vie. Par exemple, j’aurais imaginé des sursauts de doute venant du frère, qu’il soit un peu plus torturé, ou assister au déchirement de sa sœur qui laisse sa vie et sa fille derrière elle. Rien de plus humain, il me semble. Surtout qu’à un certain moment, ils ingurgitent une grande quantité d’alcool fort, cela aurait pu avoir comme effet de ramollir au moins un des deux, lui donnant la nausée ou de l’anxiété.
Delà, cette impression persistante d’assister à une démonstration qu’il est beau de ne pas interférer dans la décision ultime de mourir et que le suicide assisté est un geste noble. Le message, en parlant plus fort que les personnages, les a sclérosés au point où je les ai moins appréciés.
Extraordinaire - auteur : David Gilmour* - Éditions : VLB
avril 2014, 176 pages
Traduit de l'anglais par Sophie Cardinal-Corriveau
*(polémique récente suite à une de ses déclarations intempestives)