"Il n'est jamais trop tard pour bien faire."
Ce qui est vrai pour un individu l'est-il pour un Etat? On peut se le demander.
La France ne se porte pas bien. Le constat est vite dressé. La croissance est en panne. N'en déplaise aux partisans de la décroissance, cela signifie "chômage, pauvreté et morosité".
On accuse le libéralisme et le capitalisme de cette panne, mais l'accusation est-elle pertinente quand, en France, en 2013, les dépenses publiques représentent 57,1% du PIB, les recettes publiques 52,8% et la dette publique 93,5%?
Cécile Philippe cite un grand nombre d'études qui arrivent à cette conclusion qu'il y a "un lien négatif entre dépenses publiques et croissance économique".
Comment ce lien peut-il être établi?
La taxation et l'endettement permettent de financer les dépenses publiques. Or, il ne faut pas seulement tenir compte des coûts divers de son recouvrement par l'Etat et des coûts divers subis par les privés, mais aussi des incitations contre-productives qu'elle engendre chez ces derniers.
La taxation et l'endettement permettent d'effacer les pertes de l'Etat, ce qui évite aux politiques et aux bureaucrates de mener un calcul économique, mais ce ne sont évidemment pas des incitations à faire un usage efficace des ressources dont ils disposent.
Cécile Philippe peut écrire: "La croissance de l'Etat n'est donc pas forcément gage de croissance économique et au contraire, elle peut nuire à un développement durable de l'économie. Dans le même temps, la vie économique est régulièrement entravée par des crises financières qui peuvent légitimer la croissance de l'Etat pour la secourir."
Cécile Philippe fait un rappel historique des crises financières qui émaillent les dernières décennies du XXe siècle et les débuts du XXIe.
Pourquoi ont-elles eu lieu? Et pourquoi ont-elles et auront-elles lieu?
Pour les économistes mainstream, "le développement d'un pessimisme irrationnel au sein du secteur privé pourrait être une des raisons de l'émergence périodique des crises":
"Pour les surmonter, une intervention publique contra-cyclique serait nécessaire."
Pour les économistes autrichiens, "un excès de monnaie - créé en multipliant les crédits offerts - va financer des projets d'investissement qui ne pourront pas être terminés, faute de ressources réelles":
"Au fur et à mesure que les acteurs vont s'en rendre compte, ils vont dans un premier temps chercher par tous les moyens des ressources pour finir leurs projets. Faute de les trouver, ils devront mettre la clé sous la porte."
La crise des subprimes est l'illustration de cette explication autrichienne des cycles économiques, avec, facteur aggravant, une réglementation qui a obligé les banques à octroyer des crédits immobiliers aux minorités défavorisées.
L'explication des économistes autrichiens amène à se pencher sur le rôle de la monnaie dans le développement et dans les crises.
La monnaie sert au développement des échanges et à la spécialisation des tâches, mais surtout elle sert à l'expression des prix: "Les prix sont nécessaires si l'on veut que la production s'adapte spontanément à la consommation, ce qui est primordial dans une société fondée sur la division du travail."
Cécile Philippe fait le diagnostic, dans la logique aurichienne, que la monnaie est bien au centre des crises. Car elle est manipulée et fausse le baromètre des prix; de surcroît, elle est créée de manière excessive.
Les banques, en effet, bénéficiant de l'assurance de pouvoir se refinancer, en cas de besoin, auprès des banques centrales, qui sont prêteurs en dernier ressort, et bénéficiant de la garantie étatique des dépôts, usent et abusent de cet aléa moral pour créer de la monnaie scripturale:
"Si le diagnostic de ce livre est exact, la crise est la conséquence d'une gestion laxiste de la liquidité engendrant des niveaux d'endettement insoutenables, et des malinvestissements dans toute l'économie."
Comment ces niveaux d'endettement insoutenables ont-ils été atteints?
L'euro a permis à la France - qui n'a pas connu d'excédent depuis 1974 - et aux pays structurellement déficitaires tels que la Grèce, l'Espagne ou le Portugal, d'emprunter à des taux beaucoup plus faibles qu'auparavant. Cela leur a permis d'ajourner les réformes qui étaient nécessaires et de prolonger leur folie dépensière.
Il y a deux moyens pour résorber de tels déficits publics devenus aujourd'hui insoutenables:
"Le premier consiste à augmenter les recettes fiscales, alors que le second vise à réduire les dépenses publiques."
Ces deux moyens correspondent à deux philosophies:
"Celle qui voit dans l'Etat la source de la croissance et se traduit par une hausse des impôts et celle qui, au contraire, juge que la croissance de l'Etat nuit à la croissance de l'économie, et qu'il faut inverser la tendance en diminuant les dépenses."
La France a choisi la premier moyen correspondant à la première philosophie: les impôts ont fortement augmenté, les dépenses ont continué d'augmenter. Les particuliers ont fait une cure d'austérité que l'Etat ne s'est pas infligée à lui-même, avec les résultats catastrophiques que l'on sait.
A contrario, le Canada, au milieu des années 1990, a choisi le second moyen, correspondant à la seconde philosophie, avec pour résultats: 12 années de surplus budgétaire à partir de 1998, une proportion de bas revenus en diminution et une baisse de l'endettement public qui est passé de près de 70% du PIB en 1995-1996 à moins de 30% en 2007-2008.
Cécile Philippe montre quelles réformes structurelles sont possibles en France, mais elles signifient la remise en cause de la gestion publique de risques tels que la santé, la retraite et le chômage.
Le monopole de l'assurance maladie a succédé, en 1946, pour des raisons politiques, aux sociétés de secours mutuel. Alors que ces sociétés n'étaient pas déficitaires (Cécile Philippe en rappelle le fonctionnement dans son livre), l'assurance maladie l'est depuis le début.
Pour endiguer ces déficits, il a été fait recours au déremboursement des soins et à l'augmentation des cotisations. Comme cela ne suffisait pas, la maîtrise comptable des coûts a été instituée de manière bureaucratique et, de réglementation en réglementation, a porté atteinte aux libertés de prescription, d'installation des médecins et des infirmières, de détermination des prix des médicaments etc.
Les déficits n'ont pas été endigués pour autant et le système de santé français prend le chemin des systèmes de santé étatisés du Canada et du Royaume-Uni, caractérisés par leurs files d'attente, tandis que l'abandon du monopole de l'assurance maladie aux Pays-bas, où le système de santé est malheureusement encore trop réglementé (ce qui est problématique à terme), a permis de réduire les dépenses de santé et les files d'attente.
Comme dans le cas de l'assurance maladie, le risque retraite, par le passé, a été couvert par des caisses d'épargne, des sociétés de secours mutuel ou des caisses patronales. Avant que l'assurance vieillesse ne devienne une organisation monopolistique en 1945, les pouvoirs publics n'ont eu de cesse de capter l'épargne recueillie par ces organisations et d'en entraver leur fonctionnement, ce depuis leur apparition au XIXe siècle.
Pour ce qui concerne le secteur privé, le système de retraite par répartition est devenu un monopole obligatoire en 1945. Pour qu'il fonctionne, il faut que le montant des cotisations des personnes actives soit égal à celui des rentes versées aux personnes retraitées.
Comme il n'a pas été constitué de réserves, le montant des cotisations ne suffisant plus, pour des raisons démographiques (longévité, etc.) et économiques (chômage, etc.), les retraites du privé (calculées sur les 25 meilleures années) sont, depuis 2005, assurées en partie par l'endettement...
Pour ce qui concerne le secteur public, la situation n'est guère plus brillante. Comme le niveau des retraites est garanti (c'est au minimum 75% du dernier traitement) et que l'Etat n'a pas davantage constitué de réserves, c'est le contribuable qui paie...
Il faut donc changer les systèmes de retraite. Dans le privé, par exemple, en optant pour un fonctionnement en points, en permettant la constitution d'épargne, en prévoyant une période de transition pour assumer le passé sans compromettre l'avenir. Dans le public, en mettant de côté, chaque année, de quoi financer les droits à la retraite des personnes employées.
Le chômage en France est une hantise pour les Français, parce que son taux est élevé, parce qu'il dure pour celui qui perd son emploi, parce qu'il est difficile d'en trouver un.
Les causes de ce chômage structurel sont à chercher du côté de l'absence de flexibilité:
- le salaire minimum (un salarié doit rapporter au moins autant qu'il ne coûte), qui pénalise les jeunes et les moins diplômés,
- les charges sociales obligatoires (même remarque, un salarié doit rapporter au moins autant qu'il ne coûte, et, de plus, le montant des charges sociales ne doit pas l'inciter à préférer le chômage à l'activité),
- la protection contre le licenciement économique (il est incertain et coûteux), qui empêche les entreprises de "s'adapter à l'évolution des préférences des consommateurs et aux changements technologiques",
- la durée légale du travail et la réglementation des heures supplémentaires, qui, là encore, empêchent les entreprises de s'adapter aux changements permanents.
Elles sont également à chercher du côté des incitations négatives, mieux gérées jadis par les sociétés de secours mutuel, telles que :
- les allocations chômage: "un individu recevant des revenus trop généreux pendant sa période de chômage peut avoir intérêt à la prolonger jusqu'à l'extinction des indemnités",
- les minima sociaux: "ils ont l'avantage d'assurer un revenu minimum aux plus démunis, mais ont aussi l'inconvénient d'avoir rendu le travail non payant".
De ce qui précède, "il faut retenir qu'on a d'autant moins à craindre le chômage qu'il est facile de retrouver un emploi. C'est en réduisant le coût du travail et les entraves au licenciement qu'on permettra un retour au plein emploi, avec davantage de création de richesses. C'est avec davantage de liberté d'association, de liberté contractuelle, de protection sociale réellement négociée au lieu d'être imposée, qu'on retrouvera le plein emploi."
Cécile Philippe termine par une réforme structurelle qui ne coûte rien mais peut rapporter gros, la suppression du principe de précaution dans la Constitution française:
"Le principe de précaution souffre d'un biais en faveur de choix conservateurs plutôt qu'innovateurs et ne tient pas compte du risque qu'il fait courir à l'ensemble de la population, celui d'interdire trop d'innovations utiles."
Des institutions concurrentes de l'Etat sont plus efficaces que lui en matière de gestion du risque:
- "Le droit de propriété fait que les gens n'auront pas intérêt à abuser d'une ressource, de peur qu'autrui ne le fasse à leur place",
- "Les entreprises investissent des milliards de dollars dans leur marque pour fonder et maintenir une réputation qui du jour au lendemain peut être ruinée en cas de scandale",
- "L'assureur a tout intérêt à inciter son client à prendre les précautions nécessaires pour éviter la multiplication des sinistres".
En conclusion, Cécile Philippe énonce l'équation impossible à atteindre: "On ne peut pas en même temps baisser les impôts, augmenter les prestations et renoncer à l'endettement." Alors que faut-il faire? Remettre l'Etat à sa place. Comment? "Il s'agit clairement de décider de ce qui doit être maintenu et de ce qui ne peut pas l'être."
Mais, avant toutes réformes de l'Etat, la priorité des priorités est de réformer le marché du travail:
"Il sera difficile de proposer une baisse des effectifs de la fonction publique si la seule alternative est un marché du travail bouché"...
Réformer, c'est possible, le Canada l'a fait, mais "cela suppose que nous acceptions de reprendre la main sur notre santé, nos retraites, nos emplois, nos innovations, et bien sûr nos libertés"...
Francis Richard
Trop tard pour la France? Osons remettre l'Etat à sa place, Cécile Philippe, 158 pages Manitoba/Les belles lettres