Le texte est de Molière, pas un mot de plus, pas un de moins. Ce n'était pas évident pour tout le monde ce soir, ce qui prouve que la prose de cet homme continue, elle, de se bien porter.
On entend tout ... s'étonnant de repérer un julep dans l'énumération des préparations pharmaceutiques facturées à Argan. Si le mot est devenu synonyme de cocktail il était autrefois un excipient à base d'eau distillée, d'eau de fleur d'oranger, de sirop et de gomme arabique.
La création a eu lieu fin 2013 au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève que le metteur en scène dirige depuis six ans. Il aime revisiter les classiques afin de les rendre accessibles à tous, aussi bien dans le répertoire de l'opéra que dans celui du théâtre où il s'est déjà confronté à Molière (le Médecin malgré lui, l'Ecole des femmes).
Jean Lermier a fait un réel travail de relecture, insufflant de la fiction partout où se dessinait une brèche afin de donner vie à ce l'imaginaire du spectateur. Reprenant la parole d'une spectatrice je dirais volontiers que çà décrasse.
L'essentiel du décor est articulé autour de trois murs du XVII°, des anges, et des tableaux de maîtres autour de la médecine. Il a été conçu par Jean-Marc Stehlé qui était un grand homme de théâtre, à la fois scénographe et acteur de génie (il est décédé en août 2013). Il lui a livré ses intuitions que le décorateur a transformées en objets de théâtre. A l'instar du cabinet qui surgit des murs comme une pustule.
Il a concrétisé les visions qui terrorisent Argan en les faisant envahir la scène par deux marionnettes géantes de chirurgiens afin que le spectateur puisse aussi traverser les angoisses du personnage.
On s'amuse aussi beaucoup, de mille petits détails. Le parquet craque comme les convenances. Comme la raideur de la posture d'Angélique (qui est le nom d'une plante aux vertus thérapeutiques), sorte de poupée mécanique qui semble "faire le dos rond" aux injonctions de son père et qui évoque furtivement Peau d'Ane. Comme l'allure très Betty Boop de Béline, la belle-mère, qui adopte les codes de la séduction (robe rouge, talons perchés, postérieur offert) jusqu'à ce que, croyant son mari trépassé, elle relâche la pression, allume une cigarette, souffle au sens propre comme au figuré et tombe le masque.
Comme les Diafoirus revisités mode XIX°. Comme le surgissement d'un ours sur une musique rappelant la ritournelle de Bonne nuit les Petits. Comme la tenue de Toinette, seule femme à porter le pantalon et ... comble de la provocation au théâtre un chemisier vert. N'oublions pas que cette couleur était synonyme de malheur au théâtre et ... que Molière ne s'est pas remis du malaise qui l'a terrassé à la fin de la quatrième représentation.
On n'en finira jamais de s'interroger sur le message que cet homme a voulu transmettre, consciemment ou pas. Car enfin il se critique lui-même de "bon nigaud et d'impertinent" allant jusqu'à railler : "quand il sera malade je le laisserai mourir (...) Je lui dirai qu'il crève !"
Et surtout la mort rôde, fictive ou réelle. Mais malgré cette réalité tragique, ce théâtre reste ludique et le plaisir du jeu est une évidence. Les comédiens sont tous excellents autour d'un Gilles Privat au sommet de sa forme, avec qui Jean Lermier avait déjà travaillé sur L’École des femmes.
scénographie Jean-Marc Stehlé et Catherine Ranklat | lumières Jean-Philippe Roy | univers sonore Jean Faravel | costumes Catherine Rankl et Patricia Faget | sculpture Marie-Cécile Kolly, Anne Leray et Sylvia Faleni
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff
Du mardi 7 au samedi 18 octobre
Les mardis et vendredis à 20 H 30
Les mercredis, jeudis et samedis à 19 h 30, le dimanche à 16 h
Un bar est ouvert 1h avant et 1h après les représentations pour boire un verre, grignoter ou goûter les spécialités maison d'Emilie (que je vous recommande).
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est d photographe Marc Vanappelghem