On peut être député de la République, président du Conseil régional et de l'Association des Régions de France et, parlant d'une réforme décidée par sa famille politique, ne pas pratiquer du tout la langue de bois. Cela fait quelque temps qu'Alain Rousset se fait remarquer dans cet exercice. A l'heure où la réforme territoriale se résume souvent au dessin d'une nouvelle carte des régions elle doit rester d'abord et avant tout un nouvel épisode de la décentralisation. Une « réforme régionaliste » censée mettre fin au « bazar » d'une organisation administrative dans un pays dont selon le président de l'ARF un tiers des services de l'Etat font redondance avec ceux des collectivités. Ce jeudi 16 octobre, à Sciences-Po Bordeaux, où notre confrère Sud Ouest et l'IEP fêtaient trente ans de « Rencontres », Alain Rousset a redit leurs quatre vérités à ceux qu'il considère comme les tenants d'un jacobinisme inoxydable, avec la complicité de son collègue UMP Dominique Bussereau, président du Conseil général de Charente-Maritime qui n'a pas craint d'être politiquement incorrect, affirmant : « le millefeuille a du bon. »
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Ces deux-là, en élus de terrain, accueillent la réforme toujours en préparation et s'entendent sur à peu près tout ou presque. Alain Rousset l'a dit sans détour : « le débat jacobins-girondins n'est pas réductible à un débat droite-gauche si l'on veut permettre l'efficacité de l'action publique. » Et d'ajouter, en réponse à la question d'une étudiante sur les économies qui découleraient de la fusion dé régions, celle par exemple entre Aquitaine-Poitou-Charentes et Limousin : « je dis catégoriquement non ! » On est bien loin des 12 milliards claironnés par un secrétaire d'Etat nommé Vallini dont les oreilles ont dû siffler. Dans cinq ou six ans peut être, au terme de la mutualisation des moyens entre collectivités....Et encore.Le consensus de deux élus qui réfléchissent, déjà, ensemble à l'avenir d'un territoire où ils exercent la présidence, l'un d'une région et l'autre celle d'un département, a permis de mettre en évidence à la fois les espoirs liés à cette réforme et les doutes nombreux qui subsistent sur ses chances de réussite.
La nouvelle carte régionale: difficile de trouver un élu de Charente-maritime plus favorable que Dominique Bussereau à la fusion Aquitaine-Poitou-Charentes; la raison essentielle s'appelle Bordeaux, la métropole à laquelle se raccorder avec tout ce que cela implique d'infrastructures, de réseaux, d'ouverture au vent du large … Et là, justement, le trait d'union supplémentaire c'est la façade atlantique, le littoral avec ses activités, ses trois ports la Rochelle-Pallice qui dame désormais le pion à Bordeaux, Bordeaux et Bayonne. Un littoral avec son formidable potentiel touristique aussi. Quant au mariage avec le Limousin qui a choisi de s'allier à l'Ouest plutôt qu'au Centre, il n'y a pas lieu de le craindre selon un Alain Rousset, rappelant quand même que la vraie logique d'une nouvelle Aquitaine aurait réuni les Charentes actuelles, le Gers et les Hautes-Pyrénées. Autre histoire, mais celle-ci est loin d'être partout écrite, ailleurs en Alsace ou Lorraine, comme Manuel Valls l'a laissé entendre, à Toulouse et comme le pense le président du conseil général de la Charente-maritime. La nouvelle Aquitaine? Une région de près de six millions d'habitants où il va bien falloir imaginer, à côté d'un développement économique renforcé, un certain niveau de péréquation. Penser à la Creuse et ses 123.000 habitants....
L'articulation Région-Département : Quand Dominique Bussereau affirme que «le millefeuille a du bon » ce n'est pas seulement parce qu'en année pré-electorale, il défend le département que l'on sait menacé mais plutôt parce que, précisément face à des grandes régions, il faut selon lui maintenir entre elles et les communautés de communes, une identité intermédiaire : qui va parler avec les futures présidents de région ajoute-t-il ? Le président de la Communauté de communes de Gémozac, Charente-maritime?...Et de rappeler la nécessaire solidarité territoriale, à coté de l'aide sociale dont l'Etat s'est débarrassé auprès des départements en ne tenant pas ses engagements et, maintenant, en « rabotant » les crédits... Avec la montée du RSA, le Revenu de solidarité active, que l'Etat a refilé aux départements dans une France où sévit le chômage de masse, il va au total manquer par exemple 21 millions cette année au budget de Charente-maritime.
La faute à l'Etat : Et puisque l'argent public est de plus en plus rare nos deux élus s'entendent sur l'absolue nécessité d'une vraie réforme de l'Etat, toujours annoncée et jamais vraiment entreprise. Alain Rousset une fois encore, s'est employé à régler son compte au corps préfectoral départemental, les sous-préfets seuls trouvant grâce aux yeux du président de Charente-maritime qui n'en compte quand même pas moins de quatre. Et, surtout, qu'on ne brandisse pas l'impérieuse nécessité que l'Etat garde la main sur le contrôle de légalité qui reste son apanage, sous le regard vétilleux de la Cour des Comptes ; « la décentralisation c'est la responsabilisation » claironne Alain Rousset. D'ailleurs n'existe-t-il pas des Chambres régionales ds Comptes ?..
La vraie crainte, le doute profond de deux élus soucieux de réussir ce « new deal » territorial, c'est le manque d'argent qui, déjà, pèse sur la commande publique, l'investissement des collectivités, à un moment où Dominique Bussereau le rappelait 120 projets de transports urbains sont suspendus alors que l'écotaxe vient d'être supprimée. L'espoir d'une fiscalité dont la base soit dynamique demeure : il reste dans les cartons d'une réforme dont les contours, plus précis, sortiront peut être dans quelques jours d'une réécriture en cours à Matignon. Au fait, il y aura bien deux élections l'année prochaine : l'une pour des départements qui restent en pointillé en mars, l'autre à la fin de l'année pour des régions dont le périmètre nouveau fait craindre à ces deux élus de terrain l'incompréhension des citoyens et une abstention, façon élections européennes. Un sacré challenge à relever dans une France qui ne croit plus en l'efficacité de la politique et qu'il faut "arracher" au Front national.
Joël Aubert Samedi 18 octobre 2014