HAWKSLEY WORKMAN
Hier soir, en repensant à mes années de fac, mes amis d’alors, nos soirées, j’ai repensé à Hawksley Workman. Son nom ne vous dira peut-être rien. Ici pas d’actualité à célébrer. Et pourtant depuis deux jours, j’ai réécouté une partie de sa discographie. Et depuis deux jours, j’ai comme envie de m’assurer que ce nom ne tombera pas dans le puits fatal des étoiles trop scintillantes mais trop filantes.
Attendez-vous à du sentimentalisme. Mais aussi à un jugement implacable. Il n’y a rien de pire que les idoles qui déçoivent. Et c’est la grande histoire d’Hawksley Workman. Ou comment tutoyer les étoiles avant de progressivement tomber dans l’oubli. Sad but True.
Hawksley Workman, c’est typiquement le genre d’artiste qu’on découvre au détour d’une soirée. Un peu arrosée, un peu tardive. Le mec vient de nulle part, et on écoute son premier album sans trop savoir à qui on doit cette découverte. On sait qu’il est canadien, on trouve son nom bizarre. Mais on est tout de suite séduits par deux trois morceaux de son premier opus : For Him & the Girls. Rappel : Jeff Buckley vient de mourir, Radiohead, Massive Attack, Portishead font encore l’unanimité, Freddy Mercury est un souvenir et David Bowie n’a plus d’actualité. Hawksley Workman semble alors l’embryon auquel on peut s’accrocher. Dans lequel on peut enfin libérer tant de mois de frustrations sans modèles, sans avenir pour un génie baroque, séduisant, fédérateur. For Him & The Girls est une somme de tubes frondeurs, impeccables, portée par une production adéquate et une virtuosité mélodique incontestable. Le texte est ambitieux, littéraire, et pour ne rien gâcher, Hawksley est beau, dandy, ironique. Ici alors, nous succombons.
Sollicité par la France, Il vient jouer à Rennes lors des Bars en Trans, en décembre 2000. L’homme est encore confidentiel. Mais une somme d’happy fews dont je fais partie, assiste à son concert délirant au 1929. 20 m2 d’espace. Et pourtant Hawksley, accompagné alors de son inséparable claviériste Mr Lonely, qui frôle mes fesses en se frayant un passage dans ce bar étroit, donne un concert à l’image de sa démesure. Il joue de tous les instruments, se réhausse en agrippant les barres d’escaliers tout en chantant à tue tête et via un mégaphone Dirty and true du nouvel album. La performance fait mouche, on croit tenir une espèce d’hybride entre Mc Cartney et The Sparks. On écoute alors We Were the Delicious Wolwes, L’album est plus rond, plus consensuel, mais le foutraque et le baroque sont toujours là, portés par des merveilles comme Your Beauty Must Be Rubbing Off Ou Old Bloody Orange.
Il est encore temps d’apprécier Workman lors d’un concert partagé avec les Têtes Raides (eh oui !) à St Brieuc. L’homme aime la France, et la Bretagne en profite. Entre temps, encouragé par le succès de ses deux premiers albums, sort avec retard chez nous son album de noël, Almost a Full Moon, traditionnel pensum mielleux des stars américaines. Encore une fois le charme opère, ne serait-ce que par la force mélodique d’un titre comme Common Cold qui ferait passer Petit Papa Noël pour un brouillon d’illustration hivernal. Mais déjà, le doute s’installe. Le son est de plus en plus rond, consensuel. (Workman ressortira d’ailleurs en 2011 cet album à plus grande échelle sous le nom Full Moon Eleven, mais ça sent déjà le sapin).
Reste la voix et le génie mélodique.
Confirmation avec le (vrai) troisième album : Lover / Fighter. Le sentiment d’être dépossédé d’un bijou. L’efficace et finalement émouvant We still need a song tourne en rotation sur NRJ. Hawksley Workman bosse avec des groupes français, tourne un clip avec Marion Cotillard.
L’artiste semble au pinacle. Et toujours charmé par son parcours, je succombe à des scies comme Anger as Beauty ou Smoke Baby. Difficile d’expliquer ce qu’il se passe alors. Je sais qu’on est loin des impros d’un All of us Kids du premier album. Mais j’aime toujours son sens terrible de la mélodie. Même si tout ça commence à ressembler à du U2, meilleure période. L’homme a lâché du lest, a arrondi les angles, mais sait encore concocter de petites perles, pop, rock, folk, capables de vriller votre cerveau pendant des heures. Seulement, l’album semble aussi trop évident pour ne pas être récupéré par des hyènes sans culture.
Suprême sursaut, alors qu’on se repasse nostalgiquement Baby this night ou No Begining no End, certain qu’Hawksley a vendu son âme au tout commercial, sort Treeful of Starling. Quelques beaux morceaux, album encensé par la critique. Inertie artistique. Et l’idée, l’âme du départ n’y est plus. Le baroque a fondu, la voix magnifique, ne suffit plus. C’est comme ça, les fans sont intransigeants. Hawksley semble avoir tout livré.
Hawksley Workman. Littéralement l’homme oiseau ou l’ouvrier. L’artiste des hauteurs comme du rattachement à la terre. La métaphore s’est étiolée faute de nouvelles propositions palpitantes. L’artiste liminaire et aérien est redevenu Ryan Corrigan, l’homme d’une terre en jachère, se débattant avec une gloire peut-être trop vite obtenue. Des albums ensuite dispensables. Une disparition médiatique, tout du moins en France. Mais en attendant peut-être une renaissance. Nous reste des morceaux fondamentaux. Avec l’idée que le génie musical est capricieux. Alors, attendons peut-être. Après tout, au regard de ses premiers albums, il le mérite.