16 octobre 2014 | Par Les invités de Mediapart
La Fondation Sciences Citoyennes approuve les revendications du mouvement Sciences en Marche, qui sillonne la France et convergera à Paris le 17 octobre pour manifester contre la précarisation grandissante des personnels dans le secteur de la recherche scientifique. Mais elle aurait souhaité que ce mouvement aille « plus loin dans ses analyses et sa volonté de changement », notamment dans son rapport à la société civile, dont il réclame le soutien.
Il faut croire que l’histoire se répète. En 2004, plus de 15 000 chercheurs et enseignants-chercheurs se mobilisaient à l’appel du mouvement « Sauvons La Recherche » pour protester contre les coupes budgétaires dans le secteur de l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR). Depuis le 27 septembre 2014, ils sont à nouveau plusieurs milliers, à l’appel du mouvement Sciences en Marche, à sillonner la France à vélo, pour converger à Paris le 17 octobre et y manifester leur refus d’un arbitrage plus que contestable du financement du secteur.
Comme en 2004, ce n'est pas sans intérêt que la Fondation Sciences Citoyennes considère ce nouveau mouvement de protestation des chercheurs. Nous ne pouvons que soutenir ce refus de la tendance à une précarisation sans cesse grandissante des jeunes chercheurs. Nous ne pouvons qu'approuver ce rejet de mauvais choix budgétaires du gouvernement actuel au détriment de la recherche publique, notamment s'agissant du Crédit impôt recherche (CIR). Cependant, comme en 2004, et nous l'avions alors signifié par voix de presse, nous aurions souhaité que ce mouvement aille plus loin dans ses analyses et sa volonté de changement. Par exemple, que la dénonciation d'une mercantilisation de la recherche soit exprimée plus clairement puisque, c'est une réalité, les intérêts privés et les impératifs de rentabilité s'immiscent inlassablement dans les laboratoires, même quand ceux-ci sont financés majoritairement par des fonds publics. Et surtout et enfin, que les chercheurs osent s'interroger sur les relations ambigües qui prévalent entre eux et le reste de la société.
Il est vrai que la loi Sauvadet, censée résorber la précarité dans la fonction publique, n’y a rien changé : dans les faits, c’est toujours la règle de l'instabilité qui règne dans les laboratoires. Après trois, quatre, cinq ans passés dans le même établissement public, les jeunes scientifiques sont contraints d'en partir faute de postes de titulaires ou de possibilités effectives de CDI. Un horizon fermé pour ces jeunes, une gabegie pour le système de recherche qui pousse vers la porte ses recrues une fois celles-ci formées et autonomes. Car quoi qu’en dise la Secrétaire d’Etat à l’ESR, le nombre de postes dans la recherche est en baisse depuis 2010. Le constat n'est pas plus encourageant du côté des universités, où les postes sont gelés pour cause d'ajustement de budget, conséquence de la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités). A l'inverse, le CIR, cadeau fiscal fait aux entreprises, se porte plutôt bien : il se chiffre en milliards et ne cesse d'augmenter depuis 2003. Et ce, même si la pertinence de ce dispositif a été remise en question par la Cour des Comptes.
Précarisation, baisse des fonds propres, concurrence acharnée pour l’obtention de crédits… Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions d’une recherche responsable, éthique, dans le questionnement constant de ses objets et de son fonctionnement, sont loin d’être réunies. Sciences en Marche mobilise donc les premiers concernés, les acteurs de l’ESR. Et pour faire plier le gouvernement, le mouvement espère le soutien du reste de la société, notamment celui des forces organisées comme la Fondation Sciences Citoyennes. En faisant preuve de pédagogie, lit-on dans son appel, il faudra convaincre le public du rôle que joue l’ESR au sein de la société. Il suffirait donc d’expliquer au citoyen le travail du chercheur pour qu'il soit convaincu de son utilité.
Au-delà de cette mobilisation, il serait également utile de s'interroger sur la raison de cette nécessité soudaine de pédagogie. Pourquoi les chercheurs auraient-ils besoin, lorsque leurs postes et leurs crédits sont menacés, d’expliquer leur rôle, utilité, responsabilité, à la société civile ? N’est-ce pas justement parce que ce dialogue entre sciences et société est par trop inexistant le reste du temps ? N’est-ce pas à force de vendre la recherche, toutes les recherches, et ses avancées comme un progrès continuel pour le genre humain ? Quitte à faire la sourde oreille aux réserves exprimées par cette même société civile vis-à-vis de nombreux domaines (nanotechnologies, OGM, nucléaire, pour ne citer que les plus controversés).
Si, au lieu de considérer les orientations de la recherche comme des choix trop complexes pour de simples citoyens, les chercheurs considéraient que le rôle d’un système de recherche responsable était justement d’aider la société à faire des choix éclairés ! Gageons qu’il ne serait pas nécessaire de devoir en appeler à la pédagogie chaque décennie pour défendre le système de recherche publique.
Nous l'écrivions déjà il y a dix ans. Que les chercheurs prennent en compte le tiers secteur scientifique – savoirs profanes, associations de malades, scientifiques amateurs, organisations citoyennes et militantes – comme de réels interlocuteurs. Que ces chercheurs en appellent à la société dans son ensemble pour décider des choix technoscientifiques (politiques technologiques, énergétiques, agricoles, sanitaires...) qui engagent la société d’aujourd’hui et celle de demain. Et ils seront alors soutenus par le grand public.
Les acteurs de l’ESR sont légitimes dans leurs revendications contre la dégradation de leurs conditions de travail. Mais comment en appeler au soutien inconditionnel de la société sans une remise en question bien plus profonde d’un système de recherche qui place au premier plan les intérêts mercantiles à court terme – au détriment de l’intérêt commun – et qui ignore trop souvent les voix, elles aussi légitimes, des citoyens réclamant une participation réelle aux choix scientifiques et techniques.
Pour la Fondation Sciences Citoyennes, Kévin Jean, avec Bertrand Bocquet, Jacques Testart, Christian Vélot et Christophe Morvan