LES BÉCASSES
Ma chère amie, je ne rentre pas à Paris.
Cela va vous étonner
Et sans doute vous révolter.
Un chasseur rentre-t-il à Paris
Quand passent
Les bécasses ?
Je lis en attendant les premiers froids
Mais je veux vous parler des bécasses.
Donc, mes deux amis,
Les frères d’Argentan et moi,
Nous restons ici, en Normandie
Pour la saison de la chasse.
Dès qu’il gèlera,
Nous partirons pour la ferme des Cendrat,
Car il y a là un bois
Où parfois
Viennent loger les bécasses
Qui passent.
Vous connaissez les d’Argentan,
Ces deux géants,
Ces deux Normands des premiers temps,
Ces mâles de la race des conquérants
Qui ont laissé des enfants
Dans tous les lits de la terre.
Ils ont tout des Normands :
L’esprit, les cheveux blonds,
La voix, l’accent
Et les yeux couleur de mer.
Ensemble, nous parlons patois, nous vivons,
Pensons, agissons en Normands,
Voulons devenir plus Normands
Que nos paysans.
Nous attendons les bécasses depuis huit jours.
-« Il va geler me dit l’ainé, Simon
Car le vent passe à l’est. Dans deux jours,
Elles arriveront. »
Le cadet, Gaspard, lui, attend que la gelée
Soit venue pour se prononcer.
Aux aurores, jeudi dernier,
Il entrait dans ma chambre et s’écriait :
-« Ça y est, le sol est tout blanc ;
Nous partons. Vous auriez ri en nous voyant.
Nous nous déplacions dans une voiture en bois
Que mon père avait fait construire autrefois.
Il y a de tout là-dedans : une caisse
Pour les provisions, une caisse
Pour les armes, une caisse
Pour les effets, et pour les chiens, une caisse
À claire-voie.
Les deux d’Argentan et moi,
Nous sommes accoutrés en Lapons.
Nous sommes vêtus de peau de mouton ;
Nous portons
De gros bas de laine
Par-dessus nos pantalons
Et des guêtres par-dessus nos bas de laine ;
Nous avons des bonnets noirs en fourrure
Et des gants blancs…en fourrure.
Et nous roulons.
Secoués abominablement
Sur ce tremblement de terre ambulant.
Vers sept heures, nous arrivons.
Nous attendait le garde, Jules Delaître
Qui, soit dit en passant, me préfère à ses maîtres.
Nous gagnons le bois.
Simon tient les chiens qui aboient.
La bécasse, on tombe dessus
Et on la tue.
Gaspard hurle : -« Bécasse,…elle y est. »
Moi,
Je suis plus sournois.
Quand j’ai tué
Une bécasse, je crie : -« Lapin ! Il y est !»
Gaspard a répété : -« Non. Bécasse, elle y est. »
Nous guettons d’autres bécasses.
Tandis qu’elles passent
Par ici,
Vous, vous vous rendez
Chez votre couturier
À Paris !