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Les mots sans les choses. Entretien avec Eric Chauvier.

Publié le 16 octobre 2014 par Antropologia

chauvier14 Allia, 2014.

1- Ton livre applique la formule de Deborah D’Amico-Samuels reprise par James Clifford, « The field is averywhere ». Pourquoi et comment ?

C’est une façon de reprendre en le déconstruisant le format de l’essai qui repose habituellement sur un usage peu questionné de la trame dialectique. Je substitue ces étapes dialectiques par des fragments d’enquêtes qui organisent un propos théorique en le soumettant en permanence aux situations exposées.   L’enquête n’est dont pas partout (Clifford voulait parler de mondialisation, ce qui n’est pas mon propos), mais où je suis contraint d’aller.

2 – Tu prends un détail, voire une fraction de phrase que tu retournes dans tous les sens. Comment justifies-tu cette démarche ?

Il n’y a rien d’arbitraire. Seule l’enquête justifie ce choix et plus spécifiquement ce moment où en tant qu’enquêteur je suis troublé, choqué, scandalisé par tel ou tel de ces détails qui devient l’élément dynamique de mon analyse (ailleurs je parle de « familiarité rompue »), raison pour laquelle je le dissèque en tout sens ; j’y reviens parce qu’il vaut pour preuve. Sur ce point, Devereux parlait de trouble psycho-affectif en montrant comment le chercheur est pris dans son enquête par ce biais, même si les conventions habituelles des sciences humaines lissent ce moment de trouble initial. Je parlerai aussi d’anomalie, qui serait une version dramatisée du détail. Le paradigme n’est donc pas, en somme, Tolstoï mais Proust ; non la scène détaillée mais l’irruption d’une anomalie dans le déroulement phénoménal de la scène.

3 – Le contexte est l’élément essentiel de l’analyse des documents que tu utilises. Pourquoi?

Parce que mon argument théorique est justement de critiquer cette manie de l’expertise actuelle à parler sans contexte, de décrire le modèle théorique et non l’expérience qui, une fois contextualisée, permet pourtant d’aller vers la théorie. Donc, plus que le contexte, c’est la description des contextes qu’il convient de restituer : la négociation des informations, leur mise à jour et les procédures adoptées dans la phase d’écriture. D’où vient que ce protocole, appliqué dans les sciences de la nature soit souvent ignoré par nos collègues des sciences humaines ? Pour un chimiste, la question du contexte ne se pose même pas, puisqu’il est, si on peut dire, consubstantiel  à l’expérience.

4 – Vers la fin du livre tu utilises des sources de deuxième main. Ne crois-tu pas que cela affaiblisse ta démonstration?

D’abord une question : comment parler du langage des hommes politiques en anthropologie ? Il faut les rencontrer certes. Or,  je ne m’intéressais pas à leurs propos de coulisse mais à ceux qu’ils tiennent lors de leur exposition médiatique et à leur façon de parler. Cela crée un régime de discours standardisé qui peut, me semble-t-il, être analysé à partir de ce que tout le monde voit à la télévision ou entend à la radio.

Ensuite, oui, la démonstration est affaiblie, mais tu es le seul à t’en rendre compte. La perspicacité étant mal récompensée de nos jours, je n’ai pas à redouter beaucoup de critiques sur ce point. Merci en tout cas pour ta vigilance.

Propos recueillis par B.Traimond



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