Pierre Bergé, président du jury du Prix jean Giono, avait à demi vendu la mèche dans un tweet.
Pierre Bergé ne pouvait pas parler des romans de Mathias Menegoz, ni d'Adrien Bosc, ni de Pauline Dreyfus, qui étaient avec celui de Fouad Laroui les sélectionnés du deuxième tour. Seul Les tribulations du dernier Sijilmassi, du quatrième nommé, pouvait correspondre à la description - description certes à l'emporte-pièce, car il est loin de n'être que cela.
On peut y voir un éloge de la lenteur à travers l'histoire d'Adam Sijilmassi, un ingénieur qui, dans un avion, prend soudain conscience de l'absurdité de sa vie menée à toute allure entre deux aéroports. Il veut retrouver le rythme lent de la marche et des carrioles - ce qui est plus facile à dire qu'à faire. Car ce qu'il appelle son épiphanie, et dont il respecte la logique en quittant un excellent emploi de fonctionnaire appelé à un bel avenir dans la hiérarchie, ne reçoit pas la bénédiction de ses proches.
Il accepte d'abord de se soigner, ou plutôt de voir un médecin, car dans sa tête il sait bien qu'il n'est pas malade. Un peu habité par les phrases de tous les livres qu'il a lus, peut-être, et à travers lesquels se dessine une vision du monde imposée par la culture que lui a imposée l'école du colonisateur.
Bientôt le voilà dans une solitude toute nouvelle pour lui, plutôt content d'avoir été abandonné, d'avoir laissé les autres, famille comprise, dans la course effrénée à la fortune et sur l'échelle sociale, réfugié dans une pièce modeste de la maison familiale, au sein d'un village où le nom des Sijilmassi est revêtu de significations diverses qui lui échappent, pour une bonne partie, mais qui vont lui sauter à la figure comme un retour de bâton.
Pris entre sa volonté de paix intérieure et de nouveaux conflits au cœur desquels il se trouve sans l'avoir désiré, il doit bien constater que le monde est plus fort que lui et que la bêtise des hommes passe souvent par des croyances basées sur des superstitions plutôt que sur l'alliance de la foi et de la raison.
Je suis heureux que ce prix aille à Fouad Laroui, avec qui j'avais conversé il y a une quinzaine de jours, et qui me disait notamment ceci:
Adam Sijilmassi est, dans une certaine mesure, de l'ordre de la caricature. Mais cette caricature dit quelque chose sur ce qu'on est tous. On appréhende le monde par le langage, et on l'a appris avec une dimension culturelle très forte. Quand on s'appelle Adam Sijilmassi, dont le grand-père marocain, lettré musulman, ne parlait qu'arabe, et qu'on voit le monde à travers des citations de Mallarmé, des proverbes ou des slogans publicitaires vus sur les murs de Paris, on peut imaginer, je dis bien imaginer, qu'on a un problème d'identité.