d'après UN FOU de Maupassant
Ce magistrat avait eu une carrière
Irréprochable.
Les meurtriers et les tortionnaires
N’avaient point eu d’ennemi
Plus redoutable.
Tous les criminels, il les avait poursuivis
Avec un zèle obstiné.
Voici le document
Qu’il a laissé à la postérité :
’’Un criminel que je jugeais
Avait tué ses cinq enfants.
Pourquoi ? Eh bien ! On détruit la vie par volupté
Car tuer, n’est-ce pas créer ?
Détruire et faire !
Ces mots renferment l’histoire de l’univers,
Renferment tout ce qui ‘est’.
Pourquoi est-ce enivrant de tuer ?
Un être, c’est un grain de vie.
On peut le détruire comme on veut,
Comme on peut.
Puis, plus rien. Il pourrit. C’est fini.
Pourquoi donc est-ce un crime de tuer ?
C’est, je le jure,
La loi de la nature.
Tout être a pour mission de tuer ;
Il tue pour vivre et il tue pour tuer.
La bête tue sans cesse.
Et l’homme tue sans cesse
…Pour se nourrir,
Mais aussi par volupté :
Il chasse ; c’est bien pire !
L’enfant tue les insectes, les oiseaux,
Tous les petits animaux.
Tuer la bête n’est point assez.
Il nous faut tuer l’homme aussi.
Autrefois, on satisfaisait ce besoin
Par des sacrifices humains.
Le crime, aujourd’hui, est puni,
Mais on fait des guerres où un peuple
Égorge un autre peuple.
…Et on accable d’honneurs ou d’armoiries
Ceux qui accomplissent ces boucheries !
La nature aime la jeunesse éternelle.
Plus elle la détruit, plus elle se renouvelle.
Moi, j’ai passé ma vie à guillotiner
Ceux qui avaient tué
Par le poignard ou le pistolet.
Si je choisissais
Un être que je n’ai aucun intérêt
À supprimer, qui le saurait ?
Me soupçonnerait-on ?
Ah ! La tentation ! La tentation !
Elle est entrée dans mon esprit
Qui ne pense plus qu’à ceci :
Tuer un être !
Comme cela doit être
Digne d’un magistrat renommé
Qui cherche des sensations raffinées.
…Je ne peux plus résister !
J’ai tué une petite bête pour commencer.
Maintenant, il me faut
Tuer un homme ! Il le faut.
…………………
C’est fait !
Je suis allé me promener
Dans le bois de Meudon.
Devant moi, un enfant cueillait des champignons.
J’ai pensé :
’ Si je le tuais ?’
Il me dit bonjour. Je réponds :
-« Tu es seul, mon garçon ?
-« Oui, m’sieu. »
-« Tout seul dans ce bois ? » -« Oui, m’sieu. »
Je l’ai saisi à la gorge.
J’ai serré de toute ma force !
Son corps se tordait.
Puis il n’a plus remué.
Je l’ai dissimulé dans un fossé.
Et je suis rentré. J’ai bien dîné.
J’étais très gai, très léger.
J’ai passé la fin de soirée chez le préfet.
On a découvert le corps.
On a cherché le tueur.
On a arrêté deux rôdeurs.
…Je les ai fait condamner à mort.’’