un magistrat criminel

Publié le 16 octobre 2014 par Dubruel

d'après UN FOU de Maupassant

Ce magistrat avait eu une carrière

Irréprochable.

Les meurtriers et les tortionnaires

N’avaient point eu d’ennemi

Plus redoutable.

Tous les criminels, il les avait poursuivis

Avec un zèle obstiné.

Voici le document

Qu’il a laissé à la postérité :

’’Un criminel que je jugeais

Avait tué ses cinq enfants.

Pourquoi ? Eh bien ! On détruit la vie par volupté

Car tuer, n’est-ce pas créer ?

Détruire et faire !

Ces mots renferment l’histoire de l’univers,

Renferment tout ce qui ‘est’.

Pourquoi est-ce enivrant de tuer ?

Un être, c’est un grain de vie.

On peut le détruire comme on veut,

Comme on peut.

Puis, plus rien. Il pourrit. C’est fini.

Pourquoi donc est-ce un crime de tuer ?

C’est, je le jure,

La loi de la nature.

Tout être a pour mission de tuer ;

Il tue pour vivre et il tue pour tuer.

La bête tue sans cesse.

Et l’homme tue sans cesse

…Pour se nourrir,

Mais aussi par volupté :

Il chasse ; c’est bien pire !

L’enfant tue les insectes, les oiseaux,

Tous les petits animaux.

Tuer la bête n’est point assez.

Il nous faut tuer l’homme aussi.

Autrefois, on satisfaisait ce besoin

Par des sacrifices humains.

Le crime, aujourd’hui, est puni,

Mais on fait des guerres où un peuple

Égorge un autre peuple.

…Et on accable d’honneurs ou d’armoiries

Ceux qui accomplissent ces boucheries !

La nature aime la jeunesse éternelle.

Plus elle la détruit, plus elle se renouvelle.

Moi, j’ai passé ma vie à guillotiner

Ceux qui avaient tué

Par le poignard ou le pistolet.

Si je choisissais

Un être que je n’ai aucun intérêt

À supprimer, qui le saurait ?

Me soupçonnerait-on ?

Ah ! La tentation ! La tentation !

Elle est entrée dans mon esprit

Qui ne pense plus qu’à ceci :

Tuer un être !

Comme cela doit être

Digne d’un magistrat renommé

Qui cherche des sensations raffinées.

…Je ne peux plus résister !

J’ai tué une petite bête pour commencer.

Maintenant, il me faut

Tuer un homme ! Il le faut.

…………………

C’est fait !

Je suis allé me promener

Dans le bois de Meudon.

Devant moi, un enfant cueillait des champignons.

J’ai pensé :

’ Si je le tuais ?’

Il me dit bonjour. Je réponds :

-« Tu es seul, mon garçon ?

-« Oui, m’sieu. »

-« Tout seul dans ce bois ? » -« Oui, m’sieu. »

Je l’ai saisi à la gorge.

J’ai serré de toute ma force !

Son corps se tordait.

Puis il n’a plus remué.

Je l’ai dissimulé dans un fossé.

Et je suis rentré. J’ai bien dîné.

J’étais très gai, très léger.

J’ai passé la fin de soirée chez le préfet.

On a découvert le corps.

On a cherché le tueur.

On a arrêté deux rôdeurs.

…Je les ai fait condamner à mort.’’