L'Armée des Romantiques, août 2014
Photographie © Robin .H. Davies
Cher Guillaume,
Puisque tu as eu la gentillesse de me faire savoir, avec ta simplicité coutumière, que tu avais apprécié Autre Monde, motets et Rosaire, et que tu m'encourages à poursuivre le récit de mes impressions de l'édition 2014 du Festival de l'Académie Bach, je vais te conter une fin de soirée qui, mieux que merveilleuse, fut mémorable, et son lendemain qui aurait pu l'être tout autant si le sort ne s'était avisé à lui faire des crocs-en-jambe.
L'Armée des Romantiques est une formation à géométrie variable et elle fut ce soir-là tout d'abord duo, Girolamo
Bottiglieri au violon – te souviens-tu de tout le bien que je t'ai dit jadis du Quatuor Terpsycordes après un de ses concerts à Ambronay ? Il en
est le premier violon – et Rémy Cardinale sur son Érard millésimé 1895 dans la Sonate en la majeur. J'aurais aimé que tous ceux qui dédaignent la musique du vieux Franck,
Après tant d'ardeur, les pièces pour harmonium ont paru un rien palotes, malgré l'investissement et la maîtrise déployés
par un Marc Meisel décidément plein de ressources, mais passés les quatre morceaux de circonstance, une nouvelle vague d'émotion allait s'emparer de nous avec une interprétation magistrale du
Prélude, fugue et variation en si mineur dans sa version originale pour harmonium et piano ; tonalité oblige et forme cyclique obligent, et en dépit d'un épisode central plus
animé, cette page est d'une indicible mélancolie que le jeune organiste et Rémy Cardinale ont su restituer avec une sensibilité et une science du clair-obscur admirables. En guise de bouquet
final, nous était offert le Quintette pour piano et cordes en fa mineur, une page qui, à l'instar de la Symphonie en ré mineur, s'éclaire progressivement pour finir sur une
note de délivrance.
Il me faut dire un mot également du concert qui eut lieu le lendemain soir, cette fois-ci autour de Maurice Ravel. Il ne
fut hélas pas du même niveau que son prédécesseur franckiste car, outre un peu de fatigue bien compréhensible compte tenu de la débauche d'énergie de la veille, le piano montra des signes de
faiblesse dont la méchante fissure qui en était à l'origine ne fut découverte que le lendemain — l'intérêt de l'ancien réside aussi dans son caractère imprévisible. Quand on sait, outre la
précision technique diabolique qu'il requiert, l'importance du coloris dans un cycle comme Gaspard de la Nuit, on comprend sans mal que Rémy Cardinale ait été, en dépit de son
engagement de tous les instants, déstabilisé par ces quelques cordes qui se mettaient à zinguer et obéraient la poésie subtile minutieusement élaborée par Ravel. Dans le Trio pour
piano, l'investissement de Girolamo Bottiglieri et d'Emmanuel Balssa,
Vois-tu, cher Guillaume, même si le second concert n'a pas, soyons honnête, renouvelé le miracle de celui de la veille, le fait qu'un public nombreux soit venu les écouter tous deux et leur ait fait fête me réjouit, car il démontre que l'Académie Bach a indubitablement raison d'élargir ses horizons au-delà de la musique baroque tout en ne perdant pas de vue son fil de défense et d'illustration d'une pratique musicale « historiquement informée » qui, bien comprise comme ce fut le cas avec l'Armée des Romantiques dont il est incompréhensible, à mes yeux, que le travail ne soit pas plus reconnu et soutenu quand tant d'ensembles nettement moins pertinents voient s'ouvrir devant eux les opportunités juteuses que la brigue procure, peut nous donner des clés de compréhension mais aussi d'émotion qui nous étaient inaccessibles jusqu'ici. J'espère que les programmations à venir continueront à œuvrer dans ce sens et à promouvoir cette belle musique romantique française au fond si peu prophétesse en son pays. Pour ma part, je garderai, je crois, longtemps gravé en moi le souvenir d'un Franck comme un feu dévorant qui brûle au fond du chœur.
Porte-toi bien et sois heureux.
A bientôt.
L'Armée des Romantiques
Girolamo Bottiglieri, violon
Raya Raytcheva, violon
Caroline Cohen-Adad, alto
Emmanuel Balssa, violoncelle
Rémy Cardinale, piano Érard 1895
1. Jeudi 21 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano en la majeur FWV 8
Pièces pour harmonium* : Offertoire funèbre, Offertoire, Andantino quasi allegretto, Offertoire ou communion
Prélude, fugue et variation en si mineur pour harmonium et piano op.18 FWV 30*
Quintette pour piano et cordes en fa mineur FWV 7
*Marc Meisel, harmonium Alexandre 1855
2. Vendredi 22 août 2014, Église d'Arques-la-Bataille : Maurice Ravel (1875-1937)
Gaspard de la nuit, trois poèmes pour piano d'après Aloysius Bertrand
Trois chansons pour chœur* : Nicolette, Trois beaux oiseaux du Paradis, Ronde
Trio pour piano, violon et violoncelle en la mineur
*Ensemble vocal Bergamasque
Marine Fribourg, direction
Évocation musicale :
1. César Franck, Prélude, fugue et variation en si mineur pour harmonium et piano op.18 FWV 30
Joris Verdin, harmonium
Jos Van Immerseel, piano Érard 1850
2. Maurice Ravel, Trio pour piano, violon et violoncelle en la mineur : [I] Modéré
The Florestan Trio
Anthony Marwood, violon
Richard Lester, violoncelle
Susan Thomes, piano
Toutes les photographies illustrant cette chronique sont de Robin .H. Davies, utilisées avec sa permission. Toute utilisation sans l'autorisation de l'auteur est interdite.
2. Girolamo Bottiglieri
3. Caroline Cohen-Adad & Emmanuel Balssa
4. Raya Raytcheva & Rémy Cardinale
5. Rémy Cardinale