Tragédie familiale en réalité presque augmentée:
Mon père était un ancien matelot au teint buriné par les éléments. Un solide gaillard qui avait subi nombre d'avanies, de tempêtes et d'échouages au cours d’une vie s'apparentant à un chavirage permanent. Lassé des intempéries ravageuses de son destin et des ouragans matrimoniaux, il décida un matin où ma mère était particulièrement déchainée de mettre fin au naufrage en larguant définitivement les amarres pour hisser la grand-voile et tenter d’accoster sur des rivages célestes plus cléments sans trop faire de vagues.
Il voulut tout de même déserter le plancher des vaches en beauté sur quelques derniers traits de cet humour noir qu’il affectionnait par-dessus tout. Il mit en scène sa dernière dérive.
On le retrouva pendu à un noyer au bout d’un raban solidement ancré autour de son cou, une bouée en mousse négligemment jetée autour des hanches sur laquelle il avait inscrit à l’intention de son encore jeune mais déjà singulier fiston une sorte d'épitaphe en forme de clin d'oeil :
‘ Holà, Moussaillon: trop de roulis pour moi sur cette foutue terre ferme, je baisse pavillon.
signé :‘le mâle de mère’
Sur le sol, crépitait dans le radio-cassette sciemment déposé sur des coques de noix, la voix d’Hugues Auffray qui continuait de s’époumoner sans fin sur son titre phare: hissez haut, Santiano.
La note me paraissait particulièrement salée tout de même. Les derniers espoirs d'une famille unie heureuse et unie partaient à vau l'eau.
Même si mon meilleur ami, submergé dans un océan de détresse, pestait de me voir appareiller vers de nouveaux horizons sans lui, je répondis à l'appel d'une siréne puis je quittai peu de temps après le navire familial et ses eaux troubles.
A peine déboussolée par ces diverses mutineries, incidents qualifiés de mineurs, notre mère garda son cap, maintenant son allure et épousa en seconde noce, un dénommé Horn, agriculteur éleveur de porcs près du village de Poisson, petite commune de Saône et Loire. Lui au moins saurait garder les pieds sur terre.
©pol 10/2014