Ce documentaire n'a cependant pas provoqué d'énormes surprises pour moi qui ai tant entendu ma grand-mère raconter la vie que les femmes ont menée pendant la Grande Guerre. Elle est née un an après le siècle (en 1901 donc) et elle-même a remplacé son père dans le commerce en gros de fruits et légumes qui faisait vivre la famille dans le Nord de la France.
A treize ans, cette grand-mère avait conquis, sans le vouloir, une forme d'autonomie qu'elle ne "lâcha" pas après la démobilisation. Et pour cause puisque son père ne revint pas. Il fut un des 700 000 morts "pour la France" à Verdun.
Le film de Fabien Béziat et Hugues Nancy nous apprend qu'elles furent des millions à retourner sagement à leurs travaux d'aiguilles pour rendre aux hommes la place qui semblait légitimement leur "revenir". Elles ont mis ensuite des décennies avant de reprendre une place significative dans l'économie salariée. En 1960 il y avait toujours moins de femmes salariées qu'en 1913.
Ce documentaire évoque le rôle de la gent féminine durant la Première Guerre mondiale qu'elles soient célèbres comme Marie Curie, Edith Wharton, Mata Hari ou Rosa Luxemburg, ou anonymes par milliers. A travers leurs parcours croisés, c'est la voix de toutes les femmes plongées dans l'Europe déchirée de 14-18 qui ressurgit. Qu'elles aient été scientifiques, espionnes, militantes, syndicalistes ou institutrices, toutes ont joué un rôle capital hors des tranchées pour reprendre en main le quotidien. La comédienne Nathalie Baye prête sa voix à ce récit, qui retrace la Grande Guerre sous un angle inédit, à travers ces combats féminins et patriotiques.En tout cas, en France, cette période n'accéléra pas (ou alors de façon marginale) l'émancipation des femmes et notre pays sera le seul, parmi tous ceux impliqués dans les hostilités, à ne pas accorder le droit de vote à ses citoyennes pendant l'entre-deux-guerres. Et à ce que j'entends autour de moi la question de l'égalité hommes-femmes demeure d'actualité.
Et pourtant, la France n'aurait pas pu continuer à tourner en se passant des femmes alors que les hommes étaient au front sur quelque 700 kilomètres et que le bétail était lui aussi réquisitionné. Le film nous montre les femmes dans les champs, dans les usines, sur les chantiers, partout ... Trois ou quatre éléments m'ont étonnée : leurs cheveux étaient systématiquement emprisonnés dans un fichu, un sourire éclatant illuminait leur visage, les hommes portaient moustache et on les voit effectivement partir avec des tiges de fleurs (ou des petits drapeaux) plantées dans leurs baïonnettes.
Pourtant la vie des munitionnettes comme on les appelait était loin d'être facile. Ces femmes fabriquaient les obus. Cela devait être terrible de produire des armes quand on a pour mission de donner la vie. Le faire sans reconnaissance était une humiliation supplémentaire me semble-t-il. On a compté qu'en une journée chacune soulevait jusqu'à 35 tonnes, oui 35 tonnes. Il a dû y en avoir des tendinites et autres misères articulaires ! Néanmoins aucun nom de femme ne figure, à ma connaissance, sur aucun monument. Rien n'a jamais été érigé en leur honneur ...
Les midinettes obtinrent tout de même une faveur : le samedi après-midi de congé payé. On était encore loin de la semaine des 35 heures !
Je ne dis pas que les hommes n'ont pas payé un lourd tribu. Dix millions de soldats tués, 6 millions d'invalides, ce sont des chiffres insensés. Mais tout de même, il est choquant que les monuments aux morts aient été érigés exclusivement "A nos époux, à nos frères, à nos fils" ... Et ce documentaire pose la bonne question : a-t-on volé aux femmes leur part de souffrance ?
Les réalisateurs ont analysé les archives et proposent une réponse qui parait objective. Ils rappellent que le 7 août il y eut un appel officiel aux femmes françaises pour remplacer les hommes dans les usines, les boeufs dans les champs et répondre "présentes"partout où la main d'oeuvre faisait défaut.
Ils soulignent le rôle de Marie Curie, obsédée par la volonté de sauver des vies, et d'améliorer le sort des blessés. Avec sa fille Irène, âgée seulement de 17 ans, elles ont sillonné les zones de combat avec une camionnette équipée de matériel de radiologie, imposant cette technique aux médecins militaires pour éviter l'amputation à des milliers de soldats. Car tant qu'on ne savait pas repérer les balles et les éclats d'obus on tranchait dans le vif.
Les femmes ont aussi été sollicitées pour entretenir le moral des soldats. Elles sont devenues marraines, sorte de préfiguration de facebook.
Ils n'ont pas écarté ces images d'archives montrant les enfants heureux de leurs jouets, des armes miniatures, pour jouer à la guerre comme leurs ainés. On ne nous cache pas les leçons des institutrices qui enseignent l'honneur et l'instinct de revanche au lieu d'exhorter à la paix. On avait el droit de pleurer un membre de sa famille à condition de rester fier.
On ne cache rien, ni les combats, ni l'emploi du gaz moutarde, ni les boues sanglantes des tranchées. On nous rappelle aussi l'existence des pelotons d'exécution "pour l'exemple" sanctionnant mortellement les déserteurs et ceux qui refusaient cette guerre horrible. On ne pourra donc pas accuser les réalisateurs d'avoir minimisé les douleurs masculines.
Vous serez surpris par le traitement des photographies, le plus souvent dans leur état originel (en noir et blanc). Certaines archives n'ont pas été colorisées sans perdre de leur force historique.
Elles étaient en guerre (1914-1918), un film de Fabien Béziat et Hugues Nancy
Lundi 13 octobre à 20 h 30 sur France 3
Regardable en replay jusqu'au lundi 20 octobre 2014 à minuit
Rediffusion mardi 21 octobre 2014 à 03:10 toujours sur France 3