LITTERATURE FRANCAISE (VIETMAN)
EDITIONS FLAMMARION, 2014
Voici un joli récit érudit et sensible sur les douleurs de l'exil. Minh Tran Huy, née en 1979, n'en est pas à son premier coup d'essai. On lui doit notamment le très remarqué La double vie d'Anna Song
Cet opus est à la fois une profonde réflexion sur les différents exils, matérieurs et intérieurs, pathologiques et politiques, ainsi qu'un récit autobiographique émouvant sur le déracinement. L'auteur plonge dans son expérience personnelle pour encore mieux nous le faire ressentir.
Tout commence par une installation dans un musée à New-York qui évoque le destin d'Albert Dadas, un ouvrier gazier bordelais de la fin du XIXe siècle, atteint de dromomanie, de "tourisme pathologique" : ce dernier sentait un besoin vital de marcher des kilomètres, souvent dans un état second, proche de l'inconscience...il parcourut l'Europe entière jusqu'à la Russie et Istanbul, malgré lui, souvent arrêté pour vagabondage.
La narratrice se documente alors sur ce cas qui fit école puisque son mal fut étudié pendant 20 ans par un médecin...la découverte de ce cas passionnant dérive peu à peu sur les exils politiques et sociaux du XX et XXIe siècle. Ceux liés à la Guerre du Vietnam, qui toucheront directement la famille de l'auteur et celui d'une jeune sportive somalienne qui participa aux Jeux Olympiques de Pékin avant de mourir au milieu de l'Océan Atlantique pour avoir souhaité rejoindre la terre promise....
On admire alors l'habile construction du récit. Constitué de courts chapitres, le roman part
du cas clinique d'Albert Dadas pour ensuite évoquer une jeune sportive vue à la télé...pour ensuite prendre le chemin des souvenirs intimes ; les figures des oncles et cousins disparus, puis la
figure du père, celui qui s'est toujours tû, qui a préféré le silence et l'avenir au lourd poids du passé.Le lecteur fait connaissance avec une galerie de personnages très émouvants, alors que la
narratrice survole l'Atlantique à bord d'un Paris New-York...
Le roman oscille ainsi entre documentaire et récit de vie, évitant les écueils du récit intimiste. Minh Tran Huy choisit la pudeur pour évoquer ce face à face poignant entre les silences du père et le désir de connaître de sa fille.
Biographies, roman historique à base de souvenirs personnels, essai sur l'exil...les dénominatifs ne se comptent plus...Ajoutons à cela une poésie omniprésente ; la profession de la narratrice qui enregistre des sons pour une "agence de création sonore"est très évocatrice et sert de base à une réflexion sur la force des silences. Sans oublier les paysages évocateurs du Vietnam...
Un roman hybride d'une profonde originalité.