Depuis la sortie des consoles nouvelles générations cet été, à savoir la PS4 et la Xbox One, on n’a de cesse de nous répéter le même refrain : des consoles toujours plus puissantes, des graphismes toujours plus réalistes, des possibilités décuplées… Malheureusement toujours plus de gens sont dupes par cette communication pour le moins insistante alors même que le bide de la Jaguar et ses 64 bit d’Atari sortie en 1993 a bien prouvé que puissance ne rime pas avec qualité. Ne nous y trompons pas, la qualité d’un jeu réside dans les potentialités offertes par le jeu et non la console, cette dernière n’étant que l’intermédiaire de l’esprit créatif des développeurs.
Toutefois, la concurrence toujours accrue entre la Playstation de Sony et la Xbox de Microsoft (on s’en tiendra à ces deux là car elles visent la même clientèle) est porteuse de sens. En effet, le marché des jeux vidéo est de plus en plus concurrentiel tandis que les joueurs jeunes et naïfs des années 80-90 ont grandi et se sont mués en une clientèle exigeante, demandeuse de jeux plus aboutis, plus matures devenus désormais assimilables à de véritables productions hollywoodiennes au niveau de leur scénario (Heavy Rain) ou encore leur côté spectaculaire (Battlefield).
Si dans les premiers jeux de type Mario l’intrigue se résumait à sauver la princesse, les évolutions récentes ont conduit à toujours mettre en place une société rationnelle instaurant une ambiance dans le jeu et donc avec tout ce qu’elle requiert et notamment une économie.
L’argent dans les jeux vidéo possède des fonctions et des formes … originales
L’argent est un élément de gameplay à part entière qu’on retrouve dans une vaste majorité des jeux, souvent pour acheter des objets essentiels à la progression via notamment l’amélioration de l’équipement du personnage par exemple. Toutefois la monnaie n’est pas essentielle (dans Fallout le troc est de mise dans une société post apocalyptique où toute monnaie a disparu) et peut même être en soi un moyen de se montrer créatif et original notamment via sa forme (des rubis dans Zelda ou alors des âmes dans Dark Souls) ou encore son utilité (dans Mario, le plombier ramasse des pièces mais ce n’est absolument pas dans un but commercial). L’argent peut aussi devenir un atout primordial à dépenser avec la plus grande parcimonie à l’image de GTA 2 où pour sauvegarder sa progression il faut faire un don à une église. L’argent fait donc le moine mais peut aussi devenir une arme à l’image de Final Fantasy 7 où l’on peut soudoyer ses adversaires pour qu’ils s’en aillent voire même les attaquer en leur lançant des pièces.
Devenir riche dans un jeu vidéo : une leçon de vie ?
L’argent est donc un élément de gameplay fondamental dans beaucoup de jeux mais qu’en est-il au niveau de l’intrigue ? Comme dans Fear Effect ou GTA 4, l’argent est souvent l’élément déclencheur de l’histoire d’un jeu pour mener petit à petit vers une quête d’une plus grande envergure. Il y a bien des jeux où tout tourne autour de l’argent comme dans Payday the Heist où le but est de cambrioler des banques les unes après les autres. Toutefois dans la plupart des jeux d’aventure l’argent est ce qui pousse le joueur à aller de l’avant, à s’éloigner de plus en plus de sa terre natale vers des quêtes aux récompenses de plus en plus élevées. N’est ce pas là un apprentissage de la vie nous demandant de trouver une source de revenu et nous demandant d’être indépendant ?
Revenons alors à Fallout où la monnaie métallique traditionnelle est remplacée dans un monde post-apocalyptique par des bouchons de bouteilles métalliques. Il s’agit là d’un acte désespéré des humains afin de faire renaître une économie. Ne serait-ce pas l’expression d’un désir caché de retrouver les standards de la société passée et de faire reculer l’anarchie qui règne dans ce monde ?
L’économie virtuelle reflèterait-elle l’économie réelle ?
Après cette petite typologie ayant pour but de montrer l’immense champ des possibles au niveau de la mise en place d’une monnaie, une question se pose : l’argent apporte sans conteste un plus à un jeu (si toutefois la démarche est justifié, s’il n’y a pas d’argent dans Street Fighter ce n’est pas sans raison…), cela peut-il aider à mieux comprendre une économie réelle ?
Imaginez une plateforme sur laquelle les joueurs ne pourraient pas seulement s’entretuer mais aussi échanger et même créer de la richesse en combinant des objets par exemple, alors vous créez une économie. Le comportement de millions de joueurs connectés ne pourrait-il pas aider à mieux comprendre l’économie réelle ? En général, un économiste ne peut s’en remettre qu’aux statistiques : or on utilise des statistiques lorsqu’on ne sait rien. A contrario, dans un jeu, le modérateur est comme un Dieu et a accès à absolument tout, aux agissements de chaque participant.
Améliorer les modèles économiques existant grâce aux jeux vidéo
Comme l’a déclaré l’économiste Yanis Varoufakis (pour le compte de l’éditeur Valve) au mensuel Reason, l’observation la plus frappante est la vitesse avec laquelle ces économies au départ basiques se complexifient :
« nous les économistes, nous fabriquons des modèles où les choix économiques convergent très vite vers un équilibre où offre et demande s’équivalent et où les prix tendent vers leur niveau naturel, et ainsi de suite. Mais en réalité, ça ne fonctionne pas du tout comme cela. Et nous aurions dû nous en apercevoir plus tôt. Et, c’est fascinant à voir dans le jeu vidéo : très vite, le comportement collectif converge à l’équilibre puis, de lui-même, se déséquilibre. Un autre équilibre apparaît, puis disparaît. Ce qui est fascinant, c’est la vitesse et l’irrégularité du comportement collectif à l’équilibre et la vitesse à laquelle de nouveaux équilibres se forment. »
Ces observations montrent alors que toutes les théories de l’équilibre actuelles et sur lesquelles se fondent le FMI par exemple sont caduques. Les jeux vidéo peuvent donc être un moyen de perfectionner les théories macroéconomiques et peuvent donc être un tremplin vers une nouvelle économie. Reste à concevoir des jeux avec un réel marché de l’emploi et des marchés financiers mais cela ne saurait tarder (au niveau des moyens techniques en tout cas, mais rien ne dit que la demande existe).
Valve utilise son économie virtuelle pour créer des nouveaux business-models
A titre purement informatif, un lecteur du quotidien Le Monde explique plus précisément ces observations :
« Valve ne se contente pas de faire d’excellents jeux vidéo mais possède également la plus grande plate forme de vente de jeux dématérialisés (steam). C’est un peu le iTunes des jeux vidéo (les soldes en plus). Ils poussent jusqu’à faire une manette, un système d’exploitation… D’autre part il semble évident que Yanis Varoufakis a regardé de près l’expérience de Team Fortress 2, un excellent jeu multi joueur mais très classique à sa sortie en 2007.
Petit à petit Valve enrichit le contenu du jeu et en 2009 ils ont l’idée d’intégrer des chapeaux que les joueurs peuvent équiper sur les personnages qu’ils jouent. On obtient alors ces chapeaux au hasard au cours des parties ou en les fabriquant à partir d’armes que l’on obtient également au hasard en jouant.
En 2010 le jeu franchit une nouvelle dimension avec la possibilité d’échanger les objets entre les joueurs, si j’ai un chapeau en double je peux en profiter pour en obtenir un autre. Je me souviens très bien de la première soirée où ces échanges étaient possibles, tous les chapeaux avaient une valeur parfaitement égale. En parallèle ils ouvrent un magasin en ligne où il est possible d’acheter directement le chapeau de ses rêves.En 2011 coup de tonnerre : Valve rend le jeu Free to play, c’est à dire qu’il est gratuit à jouer. Il faut savoir que le jeu malgré son succès était, naturellement, un peu déclinant quand à sa masse de joueurs qui le pratiquent. Or un jeu multi qui n’est joué par personne n’a plus aucune valeur, le rendre gratuit permet un afflux régulier de nouveaux joueurs.
C’est également là où cet économiste grec commence sa mission, rien n’est laissé au hasard visiblement.
A partir de là un véritable système de bourse se met naturellement en place entre les joueurs, tous les objets (il y en a des centaines) sont soigneusement côtés et répertoriés. Des sites sont développés pour permettre l’échange automatique d’objets entre des joueurs qui ne se connaissent pas et on arrive même à voir des chapeaux extrêmement rares se vendre des centaines d’euros. Il y a aussi un site qui vous fait une évaluation automatique du contenu de votre compte Ream Fortress 2 selon les taux de la bourse actuelle. C’est passionnant parce que bon nombre de joueurs se sont retrouvé à passer des heures à faire du « trading » et non à jouer au jeu et que tous les mécanismes dont parle l’économiste grec se sont révélés au fur et à mesure.
Aujourd’hui le jeu fait preuve d’une superbe longévité puisqu’il est encore largement joué et que Valve s’en occupe toujours avec des mises à jour régulières. On pourrait se demander ce qui les pousse à poursuivre le suivi du jeu alors qu’il est devenu gratuit mais il faut se souvenir qu’ils ont une boutique de vente d’objets de Team Fortress 2 en ligne, et certains chapeaux extrêmement rares ne peuvent s’obtenir qu’en achetant des objets (des clés pour ouvrir des caisses) sur ce site.
Valve reste très secret sur les chiffres mais il est communément acquis qu’ils ont gagné incomparablement plus une fois le jeu Free to play qu’avant, en 2012.
C’est un jeu, classique à sa sortie, qui leur a servi de laboratoire pour tester des business models. Étant également la plate forme qui distribue et rend accessible le jeu (vous ne pouvez pas jouer aux jeux Valve sans être connecté à Steam) ils ont collecté une masse de statistiques incroyables sur les pratiques des joueurs, on est encore loin d’avoir un retour sur tous ce qu’ils ont récolté comme informations. »
L’objet virtuel le plus cher de l’histoire vendu 335 000 $
Tout cela n’est pas dénué d’intérêt pour les joueurs, beaucoup de joueurs rêvent de pouvoir s’enrichir grâce à leur passion et cela les éditeurs et développeurs l’ont bien compris dès la fin des années 90 avec le jeu Enthropia Universe. L’ambition annoncée des concepteurs est alors de mettre en place une économie réelle dans un univers virtuel en permettant aux joueurs d’échanger de vrais dollars contre la monnaie du jeu (cela est désormais monnaie courante de nos jours) ET INVERSEMENT. Le jeu détient notamment le record de vente de l’objet virtuel le plus cher de l’histoire : un astéroïde et sa station spatiale, vendus pour la somme de 335 000 $ !
L’argent est donc devenu une composante essentielle du jeu vidéo. Il participe au gameplay, peut être un élément essentiel à la trame du jeu mais surtout cette monnaie virtuelle s’invite désormais au-delà de la sphère vidéoludique pour s’immiscer dans nos portemonnaies bien réels. Mieux encore, l’avènement des jeux massivement multi-joueurs donne aujourd’hui la possibilité d’avoir une plateforme complète, où toutes les données seraient accessibles permettant de réaliser des expériences à grande échelle afin de mieux comprendre les comportements des différents agents économiques car ne l’oublions pas, comme l’a souvent répété Keynes, l’économie est surtout une affaire de psychologie, il s’agit de comprendre et prédire le comportement des différents agents. Comme le disait Pierre Bourdieu : « l’image du jeu est sans doute la moins mauvaise pour évoquer les choses sociales ».