Il faut savoir faire le bilan de toute chose. Dans cet exercice, Framasoft nous donne à réfléchir sur une dure réalité : l’internet d’aujourd’hui est tout sauf un monde libre où prévalent les valeurs de solidarité, d’éthique, ou de respect de l’environnement. Alors Framasoft, association 1901 fondée en 2001 pour promouvoir le logiciel libre et sensibiliser le grand public, se bat. Le constat n’est certes pas nouveau, mais Framasoft, déjà très impliqué dans le logiciel libre, entend aujourd’hui lui donner une nouvelle impulsion, avec un plan très ambitieux, qu’il appelle sans équivoque « plan de libération du monde », et qu’il fait connaitre à travers le site – tout aussi évocateur – « Dégooglisons Internet ». « Dégooglisons Internet » c’est d’abord un réquisitoire assez cinglant. Framasoft attaque tout azimuts, menant la charge sous quatre fronts : espionnage, centralisation, vie privée, fermeture, auxquels il propose les parfaits contre-pieds : liberté, décentralisation, éthique, solidarité. Petit tour d’horizon.
Espionnage
Les géants classés « GAFAM » (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) nous pistent en permanence ; ils nous « trackent » pour prendre un anglicisme très suggestif. Sous le prétexte de fournir une « meilleure expérience utilisateur », nos comportements sur internet sont espionnés en permanence. Des exemples? Framasoft déroule la liste édifiante des procès mettant sur la sellette les GAFAM : la NSA accusée d’avoir piégé les routeurs américains, la révélation de Yahoo sur le chantage des USA pour espionner les internautes, le ministre de l’intérieur allemand qui conseille à ses concitoyens de ne pas utiliser les serveurs américains, la collaboration secrète entre la NSA et Microsoft, Facebook, Google et d’autres, sur la collecte des métadonnées, le gouvernement français qui veut faire passer une loi autorisant la collecte de données personnelles, les soupçons contre Samsung qui se mettrait à espionner ses propres smartphones… N’en jetons plus. Le cauchemar orwellien de Big Brother serait plus réel que jamais.
Centralisation
Les GAFAM sont devenus de véritables hydres. Des exemples? Facebook possède WhatsApp et Instagram, Google détient Youtube, Picasa, Waze, Microsoft distribue Skype, etc. Sous la diversité des services se cache en réalité une inquiétante concentration des fournisseurs de services : toute l’activité d’un internaute peut transiter par une poignée d’acteurs du web, qui peuvent non seulement collecter facilement les informations personnelles, mais aussi altérer l’information qu’ils diffusent.
Vie privée
Notre vie privée est devenue de plus en plus perméable aux intrusions extérieures. Des exemples? Google qui sait maintenant lire nos factures avec Google Now, Chrome qui envoie tous vos mots de passe à Google, Yahoo qui rapatrie les données personnelles des utilisateurs européens sous régime irlandais, Dashlane qui révèle que 70% des sites de vente en ligne français protègeraient mal les données personnels des consommateurs, Google qui sait maintenant analyser le contenu des e-mails via son service de messagerie Gmail, le paiement par carte sans contact qui ne serait pas sans risque, le secteur de la santé qui commence à être phagocyté par Apple, Google, Facebook (Apple approche les mutuelles pour divulguer le comportement des assurés et embauche des experts en contrôles sanguins), les compagnies d’assurances américaines qui lorgnent sur les objets connectés pour mieux nous surveiller, Facebook qui a testé sa capacité de manipulation mentale des foules… Bref, dans un monde où tout devient numérique (lecture, TV, téléphonie, musique, réseau social, etc.), notre vie privée s’expose aux personnes ou organismes malveillants.
Fermeture
Les services web affichés sur votre ordinateur ou votre smartphone sont généralement exécutés dans le « cloud » : des serveurs dispersés sur la planète, stockant à la fois vos données (mails, photos, fichiers, etc.) mais aussi le code des applications. Des exemples? La sanction de la CNIL à l’encontre de Google par rapport à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ; le cloud qui pourrait s’avérer plus dangereux que les virus (car plus pernicieux) selon le directeur de Check Point ; les terminaux mobiles qui joueraient les mouchards de poche ; les changements récurrents de Privacy Policy de Facebook qui tendent à faire passer de plus en plus de données de l’état privé à l’état public ; Facebook et Google qui offrent aux utilisateurs l’accès à leur profil de ciblage ; Twitter qui peut désormais placer l’élément qu’il veut dans votre timeline ; Google, Apple et Amazon qui anéantissent la concurrence (Youtube qui saigne les labels de musique indépendants, Amazon qui tente d’enterrer une maison d’édition récalcitrante, Apple qui censure la nudité)… Avec le cloud, qu’est-ce qui nous garanti la stabilité du contenu? Pour les données, cela pose le problème de pérennité des données ; pour les application, cela pose le problème des changements impromptus décidés par le fournisseur selon son bon vouloir.
En réponse à ces quatre écueils, Framasoft souhaite donc proposer des services libres, éthiques, décentralisés et solidaires :
Liberté
Framasoft s’engage à n’utiliser que des logiciels open source, i.e. au code source libre.
Centralisation
Framasoft s’engage à faciliter l’auto-hébergement et l’interopérabilité, afin de ne pas « enfermer » ses utilisateurs.
Éthique
Framasoft s’engage à ne pas exploiter les données des utilisateurs de ses services, et à promouvoir un Web ouvert et équitable.
Solidarité
Framasoft s’engage à promouvoir le respect et l’autonomie de ces utilisateurs (tant que la réciproque sera vraie).
Le plan de bataille de Framasoft
Concrètement, le plan de bataille de Framasoft prend la forme d’un échéancier assez impressionnant avec les services suivants (j’ai noté entre parenthèses l’outil que chaque service peut censer remplacer) :
2013
Framindmap (Bubbl.us) : cartes heuristiques,
Framapad (Google Docs) : rédaction collaborative,
Framacalc (Google Spreadsheet) : tableur collaboratif,
Framadate (Doogle) : réunions et sondages,
Framanews (Google Reader) : lecteur de flux,
Framavectoriel (Pixlr) : dessin vectoriel,
2014
Framasphère (Facebook) : réseau social,
Framabookin (Google Books) : livres en ligne,
Framapic (Img.ur) : envoi d’images,
Framabag (Pocket) : sauvegarde de contenu,
Framashort (Bit.ly) : réduction d’URL,
Framagit (GitHub) : hébergement de code,
Framasearch (Google Search) : moteur de recherche,
Framabin (Pastebin) : notes anonymes,
2015
Framadrive (Dropbox) : stockage de documents,
Framaslides (Google Slides) : présentations,
Framapétition (Avaaz) : pétitions,
Framadrop (Dropsend) : envoi de gros fichiers,
Framatalk (Skype) : visioconférence,
2016
Framagenda (Google Agenda) : agenda partagé,
Framaxxx (Padlet) : organisation d’idées,
Framaxxx (Kanban) : gestion de tâche,
Framaxxx (Scribd) : partage de PDF,
Framatweet (Twitter) : microblogging,
Framasites (Blogger) : hébergement de sites,
Framatube (Youtube) : hébergement de vidéos,
2017
Framaforms (Google Forms) : questionnaires en ligne,
Framaxxx (jsFiddle) : partage de code,
Framanotes (Evernote) : prises de notes,
Framalistes (Google Groupes) : listes de diffusion,
Framamail (Google Mail) : service de messagerie.
Vaste programme! Vous aurez remarqué quelques pièces de choix : Framasphère pour contrer Facebook, Framatweet pour contrer Twitter, Framatalk pour contrer Skype (voir à ce sujet mon billet sur l’alternative Tox, Framatube pour contrer Youtube, Framadrive pour contrer Dropbox (voir à ce sujet), Framamail pour contrer Google Mail et, last but not least, Framasearch pour remplacer… Google!
Un bilan intermédiaire
L’initiative « Dégooglisons Internet » nous donne ainsi l’occasion de faire le point sur les services annoncés. À ce jour, tous les livrables promis en 2013 ont été livrés. Et apparemment bien livrés, car les premiers tests que j’ai pu faire sur Framindmap, Framapad, Framadate (en mode classique) et Framavectoriel sont assez concluants. Voici les liens de ces premiers services, que je vous encourage de tester :
http://framindmap.org/
http://framapad.org/
http://framacalc.org/
http://framadate.org/
http://framanews.org/
http://framavectoriel.org/
Un petit mot au passage sur Framanews, qui pourra intéresser les utilisateurs de Mac OS en recherche d’un lecteur de flux, depuis qu’Apple a lamentablement abandonné le support des flux par Mail avec sa livraison Mavericks (on arrête pas le progrès). Framanews apporte (ou apporterait car je ne l’ai pas essayé et il est apparemment encore en beta) une solution simple qui évite de passer un logiciel tiers.
Viennent ensuite les livrables de cette année 2014. Les derniers services livrés sont Framabook et Framasearch.
https://framasphere.org/
http://framabook.org/
https://www.framabag.org/
https://lut.im/
https://framalab.org/zerobin/
http://searx.framasoft.org/
Restent donc, pour cette année, Framashort et Framagit, qui est annoncé en cours d’évaluation. Je suis en train de les tester et je vous encourage à en faire autant. On remarquera tout particulièrement Framasearch, le meta-moteur de recherche anonyme de Framasoft (qui est en fait une instance basée sur Searx). Framasearch fera justement l’objet d’un billet avant la fin du mois.