On se demandait où le « peuple de gauche » était passé. Un sondage IFOP de septembre l’a retrouvé. Extrêmes mis à part, il est même numériquement plus important que celui de droite. Aussi incroyable que cela puisse paraître. Législatives partielles, municipales, européennes et sénatoriales… toutes les dernières échéances électorales ont vu le camp de gauche se faire balayer. Les cantonales et les régionales devraient être un remake racontant la même déroute. Déconstruisant ainsi le maillage territorial que la gauche avait édifié au cours des 10 dernières années.
La sensibilité de gauche reste vivace
La société française a beau avoir vu depuis dix ans ses valeurs glisser à droite, du fait notamment du repli identitaire et de la crise de l’Etat-providence. Le Président de la République, issu des rangs socialistes, a beau être le chef de l’Etat le plus impopulaire qu’ait connu la Vème République. Le Front national a beau aspirer une partie des électeurs de gauche issus des classes populaires. Mais envers et contre tous ces constats, les chiffres restent têtus : 43% des Français se déclarent de gauche ou de centre-gauche contre 41% de droite ou de centre-droit. Et seulement 12% se déclarent d’extrême droite alors que – rappelons-le – Marine Le Pen engrange actuellement 30% des intentions de vote pour 2017.
Ce n’est pas tout de se déclarer « de gauche ». Allons faire un tour du côté des valeurs dont ces sympathisants se revendiquent. Et l’on remarque une hiérarchie d’idéaux différente selon qu’on appartienne à un bloc ou à un autre. Parmi toute une liste, les valeurs préférées des sympathisants de gauche sont la liberté, puis la solidarité et ensuite l’égalité. Solidarité étant le corollaire contemporain de la fraternité, nous retrouvons presque notre devise républicaine. Les sympathisants de droite mettent en avant un autre choix, citant la liberté, puis le travail et ensuite le mérite.
On note que les deux électorats placent la liberté en tête. LA valeur universelle transcendant les deux électorats ? Peut-être, mais à gauche la liberté renvoie davantage à la liberté personnelle au sein de la société, tandis qu’à droite elle correspond plus à celle d’entreprendre sur un plan économique.
Les questions sociétales balisent le clivage gauche-droite
L’existence d’un peuple de gauche transparaît également au travers des opinions. Quelques thèmes redonnent au clivage gauche-droite toute sa vigueur : l’immigration, la sécurité, la conception de la famille, la sécurité ou le droit du travail. Le « peuple de gauche » se montre plus ouvert sur les droits des homosexuels et sur les immigrés, plus réticent au patronat, moins effrayé par l’insécurité et plus indulgents sur la recherche de travail par les chômeurs. Pas de surprise donc.
Plus étonnant : parmi l’ensemble de ces sujets, ce sont les questions sociétales qui mettent le plus en évidence les divergences entre la gauche et la droite. Avec deux sujets étendards :
- le mariage et l’adoption par les couples homosexuels (31 points de différence entre les deux électorats)
- le droit de vote des étrangers aux élections locales (34 points de différence entre les deux électorats). Ce débat représente aujourd’hui la ligne de clivage gauche-droite la plus marquée.
Quand le doute s’insinue au sein de l’électorat de gauche
A ceux qui constatent que le clivage gauche-droite serait comme « un vieux tapis élimé qui aurait trois siècles », on peut leur répondre que la grille de lecture demeure pertinente. Mais un bémol essentiel doit être apporté : on ressent des sympathisants de gauche désarçonnés. Et plus ouverts aux idées dites « de droite ». 44% de électeurs de gauche pensent ainsi que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. 56% d’entre eux estiment qu’il faut que l’Etat donne plus de liberté aux chefs d’entreprise. Et seulement 47% d’entre eux jugent que l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte.
Au contraire, le « peuple de droite » se regroupe tel un seul homme autour de quelques idées phares. 80% de ses sympathisants estiment par exemple que l’Etat doit donner plus de liberté aux chefs d’entreprise.
C’est en ce sens qu’on est en droit d’estimer qu’il y a une droitisation de la société française : le bloc de gauche reste sûr de ses valeurs, mais sa solidité idéologique apparaît friable comme de la craie. En face, la droite est solide dans ses idées, formant un bloc plus uniforme.
Les gouvernements de gauche ont brisé les rêves
Le « peuple de gauche » est nombreux, mais il ne se mobilise plus. Les récentes élections, on l’a vu, ont été désastreuses pour ses partis de référence. La ligne politique du gouvernement Valls apparaît si droitisante qu’elle sonne telle l’oraison funèbre de la gauche. Jamais en France la lutte contre les déficits et la restauration de la compétitivité n’avaient encore été des finalités d’un gouvernement socialiste. Et cette droitisation du discours des leaders politiques de gauche ne concerne pas que l’économie. Avec certains propos sur l’immigration – « les Roms ont vocation à retourner en Roumanie » -, les derniers tabous de gauche semblent avoir sauté.
La concurrence internationale, l’épuisement financier de l’Etat-providence, les grands mouvements de population à l’échelle planétaire, la pression allemande etc. Face à tous ces enjeux, une politique de gauche est-elle encore possible ? La base est démobilisée face à une droite remontée comme jamais. Et un leader inattendu d’une politique économique de « gauche » a émergé en la personne de Marine Le Pen. Le retour à la retraite à 60 ans ? La préservation des services publics sur le territoire ? Un secteur bancaire nationalisé ? Elle le promet, c’est possible !
Par contraste avec l’électorat de droite, le « peuple de gauche » existe encore en tant qu’identité culturelle, partageant des valeurs communes. Mais avec des opinions attiédies. Le gouvernement de gauche a abdiqué, et masque ses différences avec la droite à coup d’artifices de communication et de mesures symboliques. Le peuple de gauche part donc à la dérive, se démobilisant aux élections voire se tournant vers Marine le Pen.
Plus que jamais, le ligne de clivage la plus opérante aujourd’hui sépare les partis de gouvernement, pro-européens et ouverts au libre-échange, face aux partis antisystèmes, antieuropéens et protectionnistes. C’est ainsi qu’un gouvernement d’union nationale, regroupant les partis de gouvernement, aurait le mérite de la cohérence pour appliquer une politique en faveur de la compétitivité des entreprises menée (timidement) actuellement. Sans agiter les sujets sociétaux qui, eux, demeurent clivants.
Article publié dans L’Express.fr