La semaine dernière, c’était un couac entre Valls et Macron d’un côté, et Hollande de l’autre, sur l’épineux sujet du chômage, de la traque des fraudeurs aux indemnités et sur la nécessité de réforme d’un système (encore un) qui affiche des déficits, le tout pour éviter les petites aigreurs sociales à l’extension du flicage par Pôle Emploi. Et, cette semaine, histoire de ne pas refroidir le moteur médiatique, le sujet de chamaillerie hebdomadaire du gouvernement sera les autoroutes.
Bon, bien sûr, la chamaillerie, aussi médiatique soit-elle, n’est pas venue de façon complètement fortuite. C’est que ça se travaille, ce genre de pataquès national bien baveux ! Si on peut, si on doit même improviser complètement les idées et les sujets, l’idée même d’une cacophonie gouvernementale de plus est en revanche issue d’une préparation de longue haleine, d’un savant calcul politico-politicien dont le but est, à chaque fois, multiple, entre occuper la galerie pendant que des choses embêtantes et graves se déroulent discrètement en coulisse, et permettre aux uns et aux autres de se mettre en scène, parce que les élections, c’est dans deux ans (pour ainsi dire demain, au rythme où vont les décrépitudes personnelles, de nos jours). Et cette semaine n’échappe pas à la règle. Le déroulé de l’action permet de bien comprendre comment, en partant d’une constatation à l’emporte-pièce et pas forcément frappée au coin du bon sens des bénéfices d’exploitants d’autoroutes, on en arrive à un débat national sur la gratuité de ces voies de communication le week-end (oui, vous avez bien lu).
Tout a commencé mi-septembre, assez discrètement, avec plusieurs entrefilets dans la presse, expliquant plus ou moins doctement qu’à la suite d’une enquête menée par l’Autorité de la Concurrence, on s’était rendu compte que les sociétés d’exploitation des autoroutes françaises faisaient de solides profits. Comme chacun le sait en France, faire du profit est quelque chose d’éminemment louche puisque cela signifie que le service rendu est payé par des consommateurs qui, globalement idiots, continuent à le payer à ce prix trop élevé (le bon prix étant celui où le profit engrangé est aussi rikiki que possible, je suppose). D’ailleurs, les calculs de l’Autorité sont formels, les entreprises autoroutières n’ont rien à mettre en face de leurs profits outranciers :
« Elles affichent toutes une rentabilité nette exceptionnelle, comprise entre 20 % et 24 %, nourrie par l’augmentation continue des tarifs des péages. Et cette rentabilité n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées »
Voilà, c’est dit. La petite musique d’un profit scandaleux est introduit dans les pensées des uns et des autres, parmi lesquels on trouve immanquablement un député ou un sénateur avide de remettre un peu de justice dans ce monde de brutes capitalistes. En plus, la masse des clients pardon des victimes est énorme, puisqu’on parle de contribuables et d’automobilistes. Pour une fois qu’on ne veut pas étriller le conducteur-pollueur, c’est le moment où jamais d’agir. Pour un politicien, agir, c’est faire du bruit avec sa bouche. Eckert fut l’un des premiers sur le pont, suivant en cela une Ségolène Royal jamais en retard d’une bonne ponction :
« Il faut commencer par faire le constat que les profits et les versements de dividendes des sociétés d’autoroutes sont inacceptables, (c’est) en tout cas immoral, faute d’être illégal. »
Un peu seulement, parce que la machine médiatique n’attend pas et qu’il est difficile, impossible même, de contenir une idée, même si elle n’est ni bonne, ni grande ni solide, dans la petite boîte crânienne de Ségolène dans laquelle elle se cognera de plus en plus vite en attendant de sortir, frustrée qu’elle est par un volume aussi réduit. Mardi matin, c’en est trop, paf, l’idée sort, d’un coup, en pleine radio : et si on faisait des autoroutes gratuites le week-end ?
Des autoroutes gratuites le week-end ? Pas de doute, nous avons atteint ici le Point Ségolène, ce point magique de non-retour où l’on sait qu’on n’est plus dans l’univers normal des adultes responsables, mais dans celui des politiciens irresponsables partis très loin dans l’espace intersidérant du foutage de gueule en Cinémascope et son Dolby Surround. Parce qu’à y réfléchir deux minutes, les autoroutes arbitrairement déclarées gratuites le week-end, c’est un peu de la renégociation de contrat à la volée, et c’est un peu un appeau à emmerdes juridiques et logistiques.
Cette idée ségolèsque, c’est une façon courtoise et particulièrement novatrice de s’asseoir sur le droit de propriété, un peu comme si, de façon unilatérale, le propriétaire de votre location décidait que le week-end, il avait le droit de faire un barbecue sur la terrasse du bien qu’il vous loue, et tant pis si vous aviez d’autres plans. Mais c’est aussi un cauchemar logistique en devenir, les automobilistes réservant manifestement leurs départs pour le week-end, gratuit, ce qui ne manquera pas d’occasionner de magnifiques bouchons les jours de grands départs. C’est aussi ça, l’écologie sauce Royal.
Cependant, la lucidité gouvernementale, actuellement en voyage inter-galactique, a décidé de faire un petit crochet rapide par Matignon qui peut alors démentir formellement toute étude d’une gratuité le week-end, arguant que l’idée était « difficilement envisageable » … (ce qui, au passage, devrait terroriser tout individu qui se rappellera que ce sont précisément les idées les plus loufoques et les plus bancales qui se sont régulièrement retrouvées sous forme de lois quelques temps plus tard). Partant de là, la chamaillerie est complète. Ajoutant à la cacophonie habituelle au sein de la majorité (cacophonie qui couvre d’ailleurs habilement l’absence presque parfaite de tout discours cohérent dans l’opposition), la nouvelle séquence-couac du gouvernement peut alors se développer d’un média à l’autre.
Encore une fois, tout ceci montre surtout que le gouvernement entend récupérer de l’argent où il peut, partout s’il le faut, et qu’il est prêt à toutes les contorsions pour y arriver. Il en est maintenant réduit à proposer, pour atténuer ses ponctions arbitraires, des idées aussi farfelues qu’improvisées par la voix de Ségolène Royal, d’ailleurs habituée des saillies grotesques (on se remémorera utilement son idée d’entre deux tours aux élections présidentielles qui consistait à faire raccompagner chaque policière par un policier, par exemple).
Le plus grotesque étant que ces débats et ces discussions n’ont aucun aspect pratique, si ce n’est, pour les politiciens, de se mettre en scène et de jouer au plus présidentiable : dans les têtes de Valls et de Royal, il s’agit surtout de montrer aux Français qu’on a de la lucidité à revendre (pour le premier) et des idées novatrices (pour la seconde), qu’on veut absolument tenir un beau budget bien carré bien propre pour Manuel (parce que ça peut jouer pour la prochaine élection d’importance, mes petits amis), et qu’on est proche du peuple et de son petit pouvoir d’achat déjà fort tendu pour Ségolène (parce qu’elle aussi, elle se voit bien rempiler dans la course à l’Élysée, et elle connaît la chanson).
Le pathétique de ces agitations semble échapper à la presse. Alors que la situation du pays ne cesse de se détériorer, on assiste encore une fois à une série de couacs navrants au gouvernement, de petites prises de becs stériles et de mises en exergue d’individualités au demeurant pas très reluisantes. S’il est – je le reconnais – assez amusant de commenter ces bouffonneries, il ne faut jamais perdre de vue que ces guignols font toujours leurs clowneries à nos frais, que la facture se paiera toujours cash, et qu’encore une fois, elle ne leur sera pas présentée.
Et plus ces pitres s’amusent, plus ce pays est foutu.
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